L’idée de data centers spatiaux n’est plus seulement de la science-fiction et pourrait devenir réalité avant 2050. Il y a quelques jours, Thales Alenia Space a présenté les résultats de l’étude de faisabilité Ascend consacrée au déploiement de data centers dans l’espace. Damien Dumestier, responsable de cette étude chez Thales Alenia Space, a pris le temps de répondre à nos questions.
Le concept de data centers dans l’espace présente de nombreux avantages et opportunités en matière de traitement et de stockage des données en orbite. Ces avantages incluent l’exploitation des ressources spatiales telles que l’énergie solaire et le froid, la réduction de la latencelatence, la possibilité d’avoir des capacités de stockage pratiquement illimitées et une augmentation de la sécurité des données. Bien que cette technologie soit encore en développement, elle offre un potentiel considérable pour répondre à la demande croissante en matière de stockage de données mais aussi en matière d’environnement.
Dans le cadre du projet européen Ascend (Advanced Space Cloud for European Net zero emission and Data sovereignty)), Thales Alenia Space a mené une étude de faisabilité pour évaluer l’installation de data centers en orbite afin de soutenir les objectifs de neutralité carboneneutralité carbone de l’Europe, notamment dans le cadre du Green Deal pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Le saviez-vous ?
Dans le cadre de ces data centers spatiaux, l’Europe pourrait ainsi regagner sa position de leader dans le transport, la logistique spatiale et l’assemblage de grandes infrastructures en orbite. En effet, ces infrastructures spatiales modulaires seraient assemblées en orbite grâce aux technologies robotisées qui feront l’objet du démonstrateur Eross IOD de la Commission européenne, mené par Thales Alenia Space, dont la première démonstration est prévue d’ici 2026.
Pour réaliser cette étude, Thales Alenia Space a réuni un consortium d’entreprises européennes spécialisées dans différents domaines tels que l’environnement, le cloud, les lanceurs et les systèmes orbitaux. L’objectif était de comparer les impacts environnementaux des data centers orbitaux avec ceux des centres de donnéescentres de données terrestres, tout en validant la faisabilité technologique de leur développement, de leur déploiement et de leur opération en orbite.
Les résultats de l’étude Ascend « confirment que le déploiement de data centers dans l’espace pourrait transformer le paysage numériquenumérique européen en offrant une solution plus écologique et souveraine pour le stockage et le traitement des données, contribuant ainsi aux objectifs de neutralité carbone et de souveraineté technologique de l’Europe », a déclaré Christophe Valorge, directeur technique de Thales Alenia Space.
Avec l’objectif d’un impact énergétique et environnemental limité de ces data centers spatiaux, l’étude suggère que ceux en orbite nécessiteraient un lanceur dix fois moins émissif sur l’ensemble du cycle de vie par rapport aux lanceurs actuels. L’étude Ascend a mis en avant que le contributeur principal des émissions des centres de données spatiaux serait le lancement, basé sur les données actuelles. Il est donc nécessaire de développer un lanceur qui aurait un ratio de kgkg de CO2 par kg de charge utile déployée (dans notre cas les modules du centre de données spatial), dix fois moindre que les solutions actuelles (Ariane 6, Falcon 9…). Il sera nécessaire de développer un lanceur éco-conçu et réutilisable, ce qui pourrait se faire avec une contribution d’ArianeGroup et aux analyses de l’étude Protein de l’ESAESA qui vise à amorcer le développement d’un lanceur lourd réutilisable.
En matière de souveraineté numérique, le projet Ascend pourrait renforcer la sécurité des données pour les entreprises et les particuliers européens. Il vise à déployer 1 gigawatt de capacité de data centers en orbite avant 2050, offrant un potentiel de retour sur investissement important. Les résultats de l’étude montrent que le projet est économiquement viable, avec un besoin estimé à 23 gigawatts de capacité et un retour sur investissement potentiel de plusieurs centaines de milliards d’euros d’ici 2050.
La parole à Damien Dumestier, responsable de l’étude Ascend chez Thales Alenia Space :
Futura : Quels sont les principaux défis et contraintes auxquels sont confrontés les data centers spatiaux ?
Damien Dumestier : L’étude de faisabilité Ascend avait comme principal objectif d’étudier les avantages de centres de données spatiaux par rapport aux data centers terrestres. Les analyses ont donc identifié des besoins d’amélioration pour le déploiement et les opérations de si grandes infrastructures spatiales. Néanmoins, certains points nécessitent des analyses complémentaires :
- la gestion de fin de vie des centres de données spatiaux est encore à clarifier, malgré des solutions prometteuses (recyclagerecyclage en orbite, redescente sur Terre à l’aide d’un cargo…), il faut s’assurer que cette fin de vie ne dégrade pas le bilan environnemental et financier de la solution ;
- la viabilité des bénéfices d’Ascend repose sur une large capacité de fabrication et de déploiement de structures spatiales. Cette capacité n’est aujourd’hui pas disponible en Europe et nécessite des investissements massifs et anticipés, qui seront amortis sur une duréedurée assez longue (10-15 ans) ;
- l’impact sur la haute atmosphèreatmosphère des lancements n’est pas encore établi et nécessite des études complémentaires avant de se lancer dans le déploiement d’un tel système.
Futura : Quels seront les principaux modes de stockage et d’utilisation des données dans ce contexte ?
Damien Dumestier : Les données seront stockées de la même façon que sur un centre de données terrestre, avec le même niveau de sécurité et sur le même type de support. Ces données seront utilisées dans plusieurs cas d’utilisations identifiés comme adaptés aux centres de données spatiaux (sauvegardesauvegarde dans le Cloud, apprentissage IAIA, High Performance Computing, etc.)
Futura : Une redondance est-elle prévue ?
Damien Dumestier : Le niveau de redondance est encore en cours d’analyse, mais il sera au moins équivalent à celui des solutions terrestres. Néanmoins deux aspects sont à considérer : l’exposition aux radiations de l’environnement spatial devrait nécessiter une redondance (physiquephysique ou logiciellogiciel) plus poussée, mais la solution distribuée de l’architecture envisagée permettra aussi d’être plus résiliente aux agressions.
Futura : Qu’est-ce qui se passe si un data center dysfonctionne ou est volontairement endommagé ou détruit ?
Damien Dumestier : La solution Ascend repose sur plusieurs infrastructures déployées en formation sur une orbite, l’architecture étant une architecture modulaire. Ces infrastructures seront connectées entre elles par des liaisons en espace libre (donc sans lien physique) et un schéma de redondance sera appliqué. Dans le cas de la perte d’un élément, la séparationséparation physique des modules permettra d’assurer le fonctionnement du reste du système avec une légère dégradation des performances mais sans perte totale.
Futura : Les radiations solaires ou spatiales sont-elles un sujet d’inquiétude ?
Damien Dumestier : Oui les radiations de l’environnement spatial sont un sujet qu’il est proposé d’étudier dans le cadre d’analyses complémentaires. D’ailleurs, Thales Alenia Space, avec le soutien de l’ESA, va effectuer des tests de radiation sur une maquette simplifiée dans le cadre d’analyse d’« EdgeEdge Computing » qui servira de base pour ces études complémentaires.