Ah te voilà ! Aujourd’hui, on s’équipe pour fureter de nuit, à la recherche d’un animal discret… qui squatte nos forêts ! Chaussures de rando, ok, sac à dosdos, ok, tente d’affût, ok et lampes frontales… ok ! Je pense qu’on est paré·e·s ! Direction, le parc naturel régional de la Montagne de Reims, et plus particulièrement, la petite ville de Germaine, située en lisière de bois. J’ai échangé rapidement avec une scientifique du Centre de Recherche et de Formation en Eco-éthologie, qui m’a donné quelques endroits intéressants pour observer son discret sujet d’étude.
Viens, il faut s’enfoncer un peu plus profondément dans la forêt. En essayant de rester discrets. Attention aux ronces, lève bien les pieds ! Oh, là, regarde ! En hauteur ! Tu le vois ? C’est un tube en plastiqueplastique, avec des cubes en bois en guise de couvercle ! Eeet il est vide ! Ce qui est une très bonne nouvelle pour nous ! Ce tube a été installé par des scientifiques et à l’origine, il contenait… un appétissant morceau de guimauveguimauve ! S’il est vide, c’est qu’un animal bien particulier a réussi à y accéder.
Figure-toi que ces tubes ne peuvent être ouverts que par un mammifère équipé de mains très semblables aux nôtres : le raton-laveur ! Un individu a donc dégusté cette friandise récemment, ce qui nous montre bien que nous sommes au bon endroit pour tenter d’en voir ! Déployons notre tente pour créer un affût et le guetter d’ici.
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Un omnivore opportuniste aux doigts agiles
Le raton-laveur, de son nom latin Procyon lotorProcyon lotor appartient à la famille des Procyonidés, de Procyon, en latin, que l’on peut traduire par pro, qui signifie « avant » et cyon, « le chien », du fait de son allure légèrement canine. Cette famille regroupe des animaux à longue queue, comme les coatis et les bassaris que l’on retrouve en Amérique du Sud, ou encore les kinkajouskinkajous qui vivent dans les forêts d’Asie. Mais il faut bien le reconnaître, le raton-laveur est un peu à part.
Déjà, il est de belle taille ! Les adultes mesurent jusqu’à 60 cm de long, queue non incluse, et atteignent aisément les 10 kilos. Comme de gros chats. Mais ils ont aussi une drôle de démarche, avec le dos courbé et les fesses surélevées. On les identifie assez facilement à la couleurcouleur de leur pelage, qui peut évoquer celle du blaireau d’Europeblaireau d’Europe, dont je t’ai déjà parlé ! Sur les yeux, le raton-laveur exhibe un masque noir de voleur, avec un museau clair. Son corps est gris, et sa queue est reconnaissable à ses anneaux noirs. Il possède à l’avant, deux petites mains dotées de 5 doigts griffus, souples et aiguisés, qui lui permettent de grimper sans effort dans les arbresarbres… et d’extraire des guimauves des tubes !
Comme la guimauve ne se rencontre pas facilement en milieu naturel, tu te doutes bien que notre raton se nourrit d’autres choses. Et c’est là l’une de ses grandes forces : il mange de tout ! C’est un omnivoreomnivore, comme nous, opportuniste. Il consomme donc tout ce qu’il trouve : des fruits et des céréalescéréales, des chenilleschenilles et des escargots, des oiseaux, des grenouilles et des crustacéscrustacés, des œufs, et même des carcasses. Son régime varie beaucoup selon la saisonsaison et l’endroit où il habite. Les ratons-laveurslaveurs qui vivent près des humains ne mangent pas les mêmes choses que ceux qui vivent dans les bois !
Plus raton-tâteur que raton-laveur !
Tu as peut-être déjà vu passer dans des livres ou sur internetinternet que le raton-laveur trempe dans l’eau ce qu’il mange, ce qui lui aurait donné son nom. Mais c’est une idée reçue… dans laquelle il y a un petit peu de vrai tout de même ! Le raton-laveur est originaire d’Amérique du Nord, où on l’appelle raccoon en anglais, un mot qui dérive du mot aroughcan en langue indigèneindigène Powhatan. Or, ce nom signifie « celui qui frotte avec ses mains ». On y est !
Avec leurs mains très sensibles, recouvertes de poils très fins, appelés vibrisses, comme les moustachesmoustaches des chats, les ratons-laveurs sont en réalité de super tâteurs ! Quand ils vivent près d’un cours d’eau, ils utilisent cette super détection tactile pour attraper les écrevissesécrevisses et les poissonspoissons dont ils se nourrissent. De l’extérieur, celà peut donner l’impression qu’il les lavelave. Mais, est-ce qu’il trempe dans l’eau tous les autres aliments qu’il mange, comme des œufs, des fruits ou des insectesinsectes ? Eh bien non ! Imagine, ce ne serait pas très pratique s’il devait trouver un cours d’eau pour tout rincer… Voici donc un bel exemple d’observation déformée par les humains.
Un raton-laveur pêche dans une petite mare en plein cœur de la forêt. © Justin Hoffman Outdoors, YouTube
Les ratons-laveurs sortent surtout la nuit et ils vivent la plupart du temps en solitaire. Les jeunes femelles restent parfois avec leur maman plus longtemps que les petits mâles. Ils se reproduisent en général une fois par an, et une femelle peut donner naissance à en moyenne 5 petits, parfois plus, qu’elle élève toute seule. Les naissances dépendent bien sûr des ressources disponibles : il faut un abri, un beau trou dans un arbre par exemple, ainsi qu’un territoire riche en nourriture pour faire des bébés.
Tu as entendu ? Prends les jumelles de nuit. Regarde, tout en haut de ce pin, il y a un trou… et deux yeux qui brillent à l’intérieur ! Cela pourrait être une martre des pinsmartre des pins, qui aime aussi ce genre de cachette. Mais non… le voici qui sort le museau. C’est bien un raton-laveur !
Un envahisseur importé de force pour sa fourrure et sa bonne bouille
Mais… au fait, comment cela se fait-il qu’on en trouve en France ? Si le raton-laveur a voyagé depuis son Amérique natale jusque dans la forêt de la montagne de Reims, c’est entièrement de notre faute ! Au tout départ, des ratons-laveurs ont été importés en Allemagne à la fin des années 1920. Certains provenaient de fermes à fourrure, où ils étaient élevés pour finir en manteaux ! Certains se sont échappés tout seuls, d’autres ont été relâchés.
En France, les ratons-laveurs apparaissent à la fin des années 1960 : Des soldats venus des États-Unis habitaient dans des bases militaires du Nord-Est de la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et ils avaient apporté des ratons-laveurs comme mascottes de leur pays. Mais ils les ont laissés là quand ils sont repartis ! Même si l’on n’a pas de chiffres exacts, la population française de ratons-laveurs est estimée aujourd’hui à plusieurs milliers d’individus ! Ça commence à compter ! Et c’est là que les soucis commencent.
Classé ennemi public
Le raton-laveur est classé comme espèceespèce exotiqueexotique envahissante partout en Europe et au Japon, où il est arrivé suite au succès d’une série animée du début des années 1970. Ce dessin-animé intitulé Rascal le raton-laveur, a donné envie aux gens d’en avoir comme animal de compagnie mais ils ont vite changé d’avis, une fois que les ratons-laveurs étaient chez eux !
Je te laisse imaginer un raton-laveur dans un salon ! C’est une très mauvaise idée car c’est un animal sauvage qui a besoin de grimper ! Résultat des courses ? Sans prédateur naturel et en faisant plein de bébés, les ratons-laveurs sont de plus en plus nombreux et occupent l’espace. Les autorités ont donc décidé qu’il fallait freiner leur avancée : ils peuvent donc être piégés toute l’année et tués.
Le raton-laveur est à ne pas confondre avec un autre animal japonais : le tanuki, qui malgré sa proximité physique, est plus proche des chiens. © Animal Kingdom of Japan, YouTube
On leur reproche surtout d’être porteur de maladies dangereuses pour nous, les humains et les animaux domestiques, comme la ragerage par exemple. On les suspecte aussi d’entrer en compétition avec d’autres mammifères de taille moyenne, notamment pour les abris, et de consommer des animaux locaux, déjà menacés.
Cependant, les études sont rares et les premiers résultats des scientifiques révèlent qu’au final, le raton-laveur ne présente pas une menace pour le moment : très peu d’animaux suivis sont porteurs de vers ou de maladies, les ratons mangent peu de proies vraiment menacées et ils occupent des gîtes différents des chats forestiers, des blaireaux ou des renards, par exemple. Est-ce que l’on accuserait pas le raton-laveur de méfaits dont il est innocent ? Et si, finalement, maintenant qu’il est bien installé, est-ce qu’il ne faudrait pas le considérer comme un nouveau colocataire permanent ? Qu’en dis-tu ?
Des puzzles pour contrer les ratons-laveurs !
Avec son petit museau frissonnant, le raton-laveur fait fondre les humains qui le trouvent ultra-mignon. Mais sa présence n’est pas toujours vue d’un bon œilœil. Il peut être source de grabuge et de conflit ! En France, il peut voler dans les vergers et les poulaillers ; et au Québec, les campeurs se plaignent de ses attaques. Avec ses petites mains agiles, il fouille les tentes, braque les glacières, et pille les barbecues ! Il arrive même à ouvrir les fermetures Éclairfermetures Éclair !
Un jeune chercheur de l’université de Concordia, à Montréal, Louis Lazure, a cherché à évaluer les capacités d’apprentissage et de résolutionrésolution de problèmes des ratons-laveurs sauvages. Il a comparé les performances de ratons qui vivaient dans certains parcs naturels, et a distingué ceux qui vivent au contact des humains dans des campements, et ceux qui vivent dans des zones plus sauvages. Il a présenté aux ratons-laveurs deux dispositifs de type casse-tête, que les animaux devaient ouvrir pour accéder à une récompense, souvent un appétissant morceau de guimauve. Il y avait donc une boîte équipée d’un loquetloquet à soulever, et deux tubes qu’il fallait tourner pour faire coïncider l’ouverture.
Les ratons-laveurs réussissent davantage à ouvrir le casse-tête avec le tube que la boîte avec le loquet. Le scientifique a aussi constaté qu’au fil des essais, les ratons-laveurs devenaient de plus en plus habiles et qu’ils étaient donc capables d’apprendre et de se perfectionner. Ils s’améliorent même au fil des années ! Cela signifie qu’ils n’oublient pas comment ouvrir les boîtes et le gardent en mémoire même au bout de plusieurs mois !
Autre chose : les ratons-laveurs qui vivent près des humains, dans les zones de campement, sont meilleurs pour résoudre les problèmes que ceux qui vivent dans les zones préservées du parc. Ainsi, les animaux qui côtoient les humains, ainsi que leurs tentes et leurs paniers de pique-nique sont habitués à faire preuve d’ingéniosité pour récupérer nos restes. Voler demande de la créativité !
Vers une meilleure cohabitation ?
Le travail de Louis permet aussi d’envisager de meilleures pistes de cohabitation. En installant des loquets difficiles à ouvrir, on pourrait par exemple empêcher les ratons-laveurs de dévaliser les campements. En tout cas, il est essentiel de réfléchir à notre façon de vivre avec eux, même chez nous, en Europe, où ils se sentent désormais chez eux.
Certains scientifiques préconisent par exemple de stériliser les animaux pour éviter qu’ils ne se reproduisent, mais le plus important serait surtout d’arrêter de faire n’importe quoi : ne plus relâcher de raton-laveur n’importe où, et ne surtout pas les nourrir. Voilà qui limitera vraiment les dégâts ! Car n’oublie pas, s’il y a aujourd’hui des conflits entre les ratons-laveurs et les humains, c’est nous qui en sommes entièrement responsables ! Le fauteur de troubles n’est pas forcément celui qui porteporte un masque de voleur !