C’est une fin de journée d’été un peu morose. Le ciel est menaçant, et de grosses pluies sont prévues avant la tombée de la nuit. Comme il fait doux et que la soirée s’annonce humide, je pense que l’on peut tenter notre chance pour partir à la recherche de notre héroïne du jour. Attrape une lampe frontale et un imperméable, on va se balader en forêt !
Découvrez le podcast Bêtes de Science à l’origine de cette retranscription. Cliquez sur le bouton Play et laissez-vous porter ou cliquez ici pour vous abonner sur votre application de prédilection. © Futura
À la recherche d’un amphibien discret
Il est 22 heures à ma montre et nous scrutons le sol de la forêt, après un orage et une pluie soutenue… Nous sommes dans les meilleures conditions pour espérer la croiser. Celle que nous cherchons cette nuit est un amphibien, muni d’une queue. On dit que c’est un urodèle, qui se distingue des anoures, comme les grenouilles et les crapauds, qui, eux, n’ont plus de queue, une fois adultes. Et même si sa peau luisante exhibe des motifs noirs et jaunes que l’on ne peut pas manquer, elle sait bien se cacher. Notre héroïne du jour est la salamandre tachetée, de son nom latin Salamandra salamandraSalamandra salamandra. Elle n’est pas très grande, 15 à 20 cm de long environ. Et elle n’est pas vraiment taillée pour la course. Avec ses courtes pattes, elle se déplace à petite vitessevitesse. La journée, elle s’abrite dans des fissures, sous des pierres, des feuilles ou dans des souches d’arbre, et elle sort surtout la nuit venue pour se nourrir.
Tiens, tu es allé·e regarder au pied de ce grand chêne ? Elle adore les météosmétéos comme ce soir, où il fait bon, mais pas trop chaud, et surtout où le temps est humide. La salamandre tachetée, comme les lézards et les serpents, est ectotherme, c’est-à-dire que la température de son corps dépend de la température extérieure. Elle ne peut pas réguler sa température, comme le font les oiseaux et les mammifères, dont nous faisons partie. Pour se réchauffer, elle a besoin de se mettre près d’une source de chaleurchaleur, et pour se rafraîchir, c’est l’inverse. Pour autant, elle ne bronzebronze pas au soleilsoleil comme les serpents ! Bien souvent, elle reste cachée quand il fait trop sec ou trop froid. Oh ! Tu as entendu ? Braque ta lampe par là, sur la droite. Il y a bien quelqu’un, mais c’est un crapaud commun ! Tu le vois marcher, là bas ? Il s’est mis à l’abri derrière ce tas de feuilles.
Qui s’y frotte, s’y pique !
Lors d’étés chauds, la salamandre se rapproche des points d’eau. Tiens, avec la pluie de tout à l’heure, il doit y avoir quelques trous qui se sont remplis, cherchons par là ! Oh viens voir ! Nous avons de la chance ! Une salamandre est debout, un peu au-dessus de la mini mare qui est apparue ce soir. Son corps est allongé, et sa petite tête ronde est bien dressée. Tu vois ses grands yeuxyeux noirs ? Ils sont spécialement adaptés à la vie nocturnenocturne. Et si sa peau brille, c’est qu’elle est toujours maintenue légèrement humide par ses propres sécrétionssécrétions. Car, la salamandre respire, aussi, grâce à sa peau ! Et, regarde, juste derrière ses yeux, il y a comme deux petites bosses, une de chaque côté, avec quelques points bien marqués sur la peau. Ce sont ses glandesglandes parotides, qui sécrètent un mucusmucus venimeux, qui contient, entre autres, une substance toxique appelée samandarin.
Une salamandre filmée de près dans la nature. © myrmecofourmis, YouTube
Mais ne t’en fais pas, même si tu la prenais dans tes mains, un bon lavage au savon après coup écarte tous les risques. Bon, je te déconseille de la toucher cependant car cela pourrait la stresser, et puis il ne faut pas prendre le risque de la rendre malade. Son venin la protège surtout contre les animaux qui voudraient la croquer. Il provoque la contraction des muscles des mâchoires, et fait baver abondamment le prédateur malchanceux. Pourtant, elle prévient ! Si la salamandre tachetée est si colorée, c’est bien pour avertir qu’elle n’est pas bonne à manger. On parle d’ailleurs de coloration aposématiqueaposématique quand les couleurscouleurs vives de l’animal servent de signal d’avertissement. C’est aussi pour cela que les guêpes sont d’un jaune vif, que les coccinelles sont d’un rouge brillant ou encore que certaines grenouilles exotiquesexotiques, que l’on trouve en Amazonie, les dendrobates, sont parées de mille couleurs aussi plaisantes à l’oeil que leur venin est puissant ! Le plus souvent, ce sont les jeunes animaux inexpérimentés qui se font avoir. Les plus vieux, eux, ont appris la leçon ! Après, même si cette protection est efficace, elle n’est pas imparable. Certains serpents, comme les couleuvres, sont insensibles à ce venin, et peuvent transformer les salamandres en goûter !
Une vie d’adulte hors de l’eau
Les grands mouvementsmouvements de bouche de notre salamandre révèlent qu’elle est en train de finir son repas. Elle raffole de petits invertébrésinvertébrés et de vers de terreterre, qui sont eux aussi de sortie, les soirs humides. On pourrait penser que, comme ses cousins tritonstritons, ou encore grenouilles et crapauds, elle serait plus à sa place en train de barboter dans l’eau. Et pourtant, la salamandre n’est pas une très bonne nageuse et risque de se noyer dans une mare. Donc si tu vois une salamandre, il ne faut surtout pas la placer dans l’eau, tu la mettrais en danger ! En réalité, les femelles adultes se rapprochent de l’élément liquideliquide uniquement pour donner naissance à leurs petits. Au printemps et en été, les salamandres se cherchent des amoureux et amoureuses pour s’accoupler. C’est d’ailleurs peut-être le cas pour notre amie, en quête de partenaires ? Après plusieurs mois de gestationgestation, au printemps suivant, la maman salamandre s’approche d’une mare et accouche de bébés déjà formés. Les œufs se développent dans son ventre puis éclosent à l’instant de la naissance. On dit donc qu’elle est ovovivipareovovivipare.
Les larveslarves de salamandres ne ressemblent pas vraiment à l’adulte : même si elles ont déjà quatre pattes, elles n’ont pas encore leurs belles couleurs vives. Elles sont d’un gris moucheté de noir, et surtout, elles sont reconnaissables à leurs branchiesbranchies, qui ressemblent à des plumeaux placés de chaque côté de leur tête et qui leur pemettent de respirer dans l’eau. Comme les têtardstêtards, les jeunes salamandres perdent leurs branchies et sortent de l’eau en grandissant. Mais contrairement aux grenouilles, comme on l’a dit, elles ne retourneront pas dans la mare qui les a vues grandir. On pense qu’elles sont assez grandes pour se reproduire autour de 2 à 4 ans, et elles peuvent vivre plus de 20 ans. C’est fou, non ?
Attention, salamandres en danger !
Cependant, la vie n’est pas toute rose pour nos salamandres tachetées. Même si elles sont assez répandues, leur population ne cesse de diminuer en Europe et en France depuis un siècle. Elles sont pourtant protégées dans la majorité des pays d’Europe grâce à l’annexe III de la convention de Berneconvention de Berne. Alors, pourquoi disparaissent-elles ? Et bien, les menaces qui pèsent sur elles sont multiples. Même si elles ne vivent pas, une fois adultes, dans l’eau, elles restent très dépendantes des zones humideszones humides pour se reproduire. Or, nombreux sont les cours d’eau qui ont été modifiés ou même comblés par les humains, et avec le dérèglement climatique, ce sont des écosystèmesécosystèmes très malmenés qui risquent de vite disparaître, avec toute la vie qu’ils abritent. Leurs habitats sont aussi des zones très sensibles à la pollution par les pesticidespesticides et autres substances toxiques. La présence de routes, qui traversent leur territoire, le découpent et le réduisent, est aussi très dangereuse pour les salamandres. Tu l’as vu, avec leurs petites pattes, elles ne courent pas bien vite, et ne font pas le poids face aux roues de nos voituresvoitures. Et puis, même si on les voit bien sur le bitumebitume, et que les conducteurs évitent de les écraser, le souffle seul, provoqué par la vitesse du véhicule, peut suffire à les tuer.
Enfin, et depuis 2008, un champignonchampignon tueur de salamandres, originaire d’Asie est apparu en Europe ! Le chytride Batrachochytrium salamandrivorans, surnommé Bsal, a décimé en l’espace de quelques années, la population de salamandres tachetées du Pays-Bas. En 2013, seuls 4 % de la population avait survécu ! Le champignon provoque des blessures sur la peau qui deviennent mortelles en quelques semaines, et il est très contagieuxcontagieux ! Les scientifiques suivent son évolution de très près, et ont trouvé comment guérir les salamandres maintenues en captivité, notamment en les plaçant au chaud pendant plusieurs jours car le champignon ne résiste pas à haute température. Mais pour celles qui vivent dans leur milieu naturel, c’est beaucoup plus compliqué, surtout qu’un animal soigné peut être réinfecté… Pour limiter les possibilités d’infection, les animaux malades sont donc isolés et mis à l’abri le temps d’être traités, mais ce n’est pas une solution miracle. Il faut être très vigilant et multiplier les précautions, comme désinfecter ses chaussures avant d’aller dans les zones où vivent les salamandres et les laisser sécher (les chaussures, pas les salamandres) à plus de 25 °C. C’est pour ça que j’ai vaporisé tes semelles avant de partir, et on recommencera en rentrant. Pas question que ce petit champignon se promène grâce à nous ! Il ne faut pas baisser les bras, des moyens d’actions existent, mais c’est maintenant à nous de prendre soin d’elles !
Légendaire, flamboyante…
Si aujourd’hui les salamandres tachetées ont besoin de notre protection, elles ont pendant longtemps éveillé la crainte et les superstitions. Présentées comme dangereuses, on dit qu’elles sont venimeusesvenimeuses et malveillantes, qu’elles empoisonnent les points d’eau ou les fruits et les arbres qu’elles touchent. De leur simple souffle, on dit aussi qu’elles font enfler ceux qui la croisent, humains et bétail, jusqu’à ce qu’ils éclatent ! En Auvergne, les gens l’appellent soufflet ou enfle-boeuf à cause de cette croyance. Mais depuis l’Antiquité, la salamandre est surtout assimilée au feufeu. Certains, comme le penseur grec AristoteAristote, racontent que le petit amphibien est si glacial qu’il étouffe les flammes, alors que, selon le médecin suisse Paracelse, elle vit dans les volcansvolcans. Les alchimistes affirment même que la salamandre est un ingrédient essentiel pour changer le mercuremercure en or ! C’est dire si elle est unique, en tout cas, dans nos légendes !
En France, c’est le roi François IerFrançois Ier qui vivait au XVIème siècle, qui la rend célèbre, en l’adoptant comme symbole, à la suite de son grand-père Jean d’Angoulême. Même si la salamandre royale ressemble plus à un dragon qu’à notre petit amphibien tacheté, elle trône fièrement sur de nombreuses façades des châteaux de la Loire, et notamment sur le plus connu d’entre eux, le château de Chambord. À ces représentations monumentales s’ajoute la devise du roi, inspirée des croyances qui disent que la salamandre nourrit les bons feux et éteint les mauvais : « Nutrisco et extingo », je m’en nourris et je l’éteins. Sa couleur éclatante, les brûlures que peuvent provoquer son mucus venimeux, et son habitude à dormir dans des souches de boisbois, utilisées dans les cheminéescheminées, peuvent expliquer ces croyances autour de la salamandre liées au feu.
et … immortelle ?
Mais ce qu’ignorait sans doute François Ier, c’est que la salamandre possède tout de même un vrai super-pouvoir, encore plus impressionnant que son venin : elle peut se régénérer ! Si elle se fait croquer une patte ou un bout de queue, elle est capable de les faire repousser. Elle peut même réparer certains organes ou tissus abîmés, comme ses yeux, son cœur ou sa moelle épinièremoelle épinière, qui peuvent pourtant être très difficiles à guérir chez l’être humain. Autant te dire qu’elle fait des envieux et que l’on cherche à percer ses secrets. Mais avant de réfléchir à copier ses super capacités de régénération, il faut agir, pour ne pas laisser s’éteindre notre flamboyante petite salamandre, si discrète et sensible.