L’IA va révéler des secrets de l’intérieur des exoterres grâce aux étoiles « polluées »

L’intelligence artificielleintelligence artificielle fait régulièrement parler d’elle dans l’actualité scientifique et même si nous n’en sommes encore pas à l’Hal 9000 de 2001 : l’Odyssée de l’espace, on peut avoir l’impression que nous n’en sommes pas loin avec les agents conversationnelsagents conversationnels utilisant l’intelligence artificielle générative comme ChatGPT.

Toujours est-il que des techniques d’IA sont de plus en plus utilisées pour faire progresser des sciences comme l’astrophysique et on peut en voir un exemple avec celle dite de manifold learning (apprentissage multiple) étudié par un groupe international de chercheurs dirigé par Malia Kao, doctorante de l’Université du Texas à Austin. Il s’agit d’un article publié dans l’Astrophysical Journal, dont une version existe en accès libre sur arXiv, qui concerne des analyses des données spectroscopiques de la mission GaiaGaia. Rappelons que ce satellite de l’ESA est une mission spatiale astrométrique consacrée à la mesure de la position, de la distance et du mouvement de presque un milliard étoiles dans la Voie lactée.

Le Big Data et Gaia

Il s’agissait en l’occurrence d’automatiser la recherche d’étoiles de type naines blanchesnaines blanches « polluées » dans notre GalaxieGalaxie, comme l’explique Malia Kao dans un communiqué de l’observatoire McDonald (McDonald Observatory)), un observatoire astronomique situé à l’ouest du Texas et géré par l’Université du Texas à Austin.

L’IA des astrophysiciensastrophysiciens a commencé par faire des recherches des caractéristiques similaires dans un ensemble de données de Gaia pour regrouper ces éléments similaires dans un graphique visuel simplifié. Les astrophysiciens pouvaient ensuite examiner le graphique et décider quelles étoiles méritaient un examen plus approfondi en utilisant des télescopestélescopes terrestres – comme le télescope Hobby-Eberly de l’observatoire McDonald.


Une présentation de la mission Gaia. © Cnes – Mai 2022

L’algorithme de l’IA a ainsi trié plus de 100 000 naines blanches potentielles qui ont ensuite été examinées de plus près sous la forme d’un groupe de 375 étoiles qui présentaient la caractéristique clé d’avoir des métauxmétaux lourds dans leur atmosphèreatmosphère. Selon les chercheurs, on ne peut expliquer la présence de ces métaux dans l’atmosphère des naines blanches qu’en faisant intervenir des planètes rocheuses dévorées par ces cadavres stellaires. Il s’agirait en fait de la seule possibilité d’avoir des renseignements sur la composition chimique interne des exoplanètesexoplanètes telluriques.

« Dans le cas des naines blanches polluées, l’intérieur de la planète est littéralement gravé sur la surface de l’étoile pour que nous puissions l’observer. Les naines blanches polluées sont actuellement le meilleur moyen de caractériser l’intérieur des planètes », déclare en effet Malia Kao dans le communiqué de l’Université du Texas à Austin.

« En d’autres termes, c’est le seul moyen fiable de déterminer de quoi sont faites les planètes en dehors du Système solaireSystème solaire, ce qui signifie que trouver ces naines blanches polluées est essentiel », ajoute Keith Hawkins, astronomeastronome à l’Université du Texas et co-auteur de l’article publié sur ce sujet.

« Notre méthode peut décupler le nombre de naines blanches polluées connues, ce qui nous permet de mieux étudier la diversité et la géologiegéologie des planètes en dehors de notre Système solaire. En fin de compte, nous voulons déterminer si la vie peut exister en dehors de notre Système solaire. Si le nôtre est unique parmi les systèmes planétaires, il pourrait également être unique dans sa capacité à entretenir la vie », conclut Malia Kao.

La théorie des naines blanches

Pour mieux comprendre de quoi il en retourne vraiment, on peut reprendre ce que Futura expliquait déjà plus en détail ces dernières années au sujet des naines blanches polluées.


Extrait du documentaire Du Big Bang au Vivant (ECP Productions, 2010), Jean-Pierre Luminet parle de l’évolution des étoiles de type solaire, leur transformation en géantes rouges, puis en naines blanches. © Jean-Pierre Luminet

Les étoiles de moins de 8 massesmasses solaires ne sont pas destinées à mourir sous la forme d’une supernovasupernova de type SNSN II à la suite de l’effondrementeffondrement gravitationnel de leur cœur, une fois l’épuisement du carburant thermonucléaire libérant le souffle de photonsphotons nécessaire pour équilibrer et contrecarrer la pressionpression de la gravitégravité propre d’une étoile. La théorie de la structure et de l’évolution stellaire déjà bien développée des années 1930 aux années 1950 nous dit que ces étoiles, et ce sera le cas de notre SoleilSoleil, vont devenir des naines blanches (mais elles pourraient donner des SN Ia si elles font partie d’un système binairesystème binaire). Une masse équivalente à presque celle de notre Soleil, par exemple, se retrouvera alors dans un volumevolume de la taille de la Terre environ.

On sait aussi qu’avant de se transformer en naines blanches, les étoiles de masses comparables à celle du Soleil vont passer par le stade de géante rougegéante rouge. Elles vont gonfler et expulser une partie de leur masse via parfois des ventsvents stellaires violents, ce qui fait qu’en général il ne restera plus que des naines blanches après ce stade, pesant de 0,5 à 0,7 fois la masse du Soleil. En devenant une géante rouge, notre Soleil englobera au moins les orbitesorbites de MercureMercure et VénusVénus, et peut-être celle de la Terre.

Des atmosphères stellaires polluées par du fer et du silicium

On a trouvé depuis des années à la surface de plusieurs naines blanches dans la Voie lactée des traces spectrales cosmochimiques de certains éléments dont la présence ne peut s’interpréter que par une pollution récente de l’atmosphère de l’étoile par l’arrivée d’un petit corps céleste rocheux, peut-être vestige de planètes telluriquesplanètes telluriques autrefois englouties par le gonflement de leurs étoiles hôtes en fin de vie et qui sont entrées en collision, déstabilisées par le phénomène.

On a des raisons de penser que certaines survivent jusqu’à un certain point. Elles ont été baptisées planètes chthoniennes et on connaît d’ailleurs deux de ces exoplanètes qui ont survécu à la phase géante rouge de l’étoile KIC 05807616, située dans le voisinage des constellationsconstellations du Cygne et de la Lyre, à environ 3 900 années-lumièreannées-lumière de la Terre. Plus petites que notre Planète, elles bouclent leur orbite en moins de 12 heures. On a découvert également le cas d’une exoplanète de type géante gazeuse en orbite autour d’une naine blanche, laissant penser que les géantes du Système solaire pourraient subir finalement un sort similaire).

Le saviez-vous ?

Les astronomes ont fait la découverte des naines blanches au XVIIIe siècle, malgré leur faible luminosité. Ils ignoraient alors à quel point ces astres étaient exotiques mais, au tout début du XXe siècle, à la stupéfaction des astrophysiciens de l’époque, une valeur de l’ordre de la tonne par centimètre cube fut dérivée de l’observation d’étoiles comme Sirius B.

Rapidement cependant, le physicien britannique Ralph Fowler comprit que la toute nouvelle mécanique statistique quantique découverte par son collègue Paul Dirac à la fin des années 1920 (qui a prédit théoriquement l’existence de l’antimatière à la même époque), décrivant un gaz d’électrons dégénéré, dans le jargon des physiciens, pouvait expliquer l’existence de ces étoiles. Ce gaz pouvait exercer une pression suffisamment importante pour résister à celle causée par la gravitation d’une étoile aussi dense que les naines blanches.

Reprenant les travaux de Fowler, le tout jeune astrophysicien Subrahmanyan Chandrasekhar (âgé alors de 20 ans) eut l’idée d’introduire les effets de la théorie de la relativité restreinte et il posa les fondations de la structure stellaire de ces étranges objets. Il arriva ainsi à une conclusion devenue célèbre, il ne peut pas exister d’étoile de masse supérieure à environ 1,4 masse solaire, une fois celle-ci devenue une naine blanche après avoir épuisé son carburant nucléaire. C’est la fameuse limite de Chandrasekhar.

Au cours des années 1940, l’astrophysicien français Evry Schatzman a fait progresser la théorie de la structure et de l’évolution stellaire en avançant que les naines blanches contiennent beaucoup de carbonecarbone et d’oxygèneoxygène, mais que leurs atmosphères sont largement dominées par l’hydrogènehydrogène et l’héliumhélium. En effet, les naines blanches sont des objets très compacts et leur gravité de surface est très élevée. Elles ne sont plus le siège de mouvements de convectionconvection, comme dans le cas du Soleil, mais d’un phénomène de « triage gravitationnel », de sorte que les éléments légers se retrouvent à la surface de l’étoile alors que les éléments lourds plongent vers l’intérieur.

Or, les observations n’ont pas vraiment vérifié ces prédictions. On a découvert des cas particulièrement anormaux : les atmosphères contenaient parfois beaucoup trop d’éléments lourds bien particuliers, à savoir le ferfer et le siliciumsilicium. La meilleure explication pour ces anomaliesanomalies fait intervenir des astéroïdesastéroïdes, et même des planètes rocheuses, qui seraient entrées en collision avec les naines blanches récemment, alors que les éléments lourds n’ont pas encore sédimenté à l’intérieur des astresastres compacts. Cela nous donne, au passage, des indications sur la composition des corps rocheux ayant pollué les naines blanches et nous permet en quelque sorte de faire de l’archéologie des exoplanètes. Incidemment, la péridotitepéridotite, la principale roche du manteaumanteau supérieur de la Terre est un assemblage de silicatessilicates ferro-magnésiens, donc contenant du fer et du silicium.

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