Les images du télescope James-Webb « montrent le monde différemment et peuvent produire un réel choc émotionnel »

Alors que les fêtes de fin d’année approchent, choisir des cadeaux pour nos proches peut être un vrai défi. Parmi les nombreuses options disponibles, les livres se démarquent comme une valeur sûre. Un « beau livre », riche en illustrations et en contenus, est idéal pour éveiller la curiosité. Qu’il s’agisse de nature, d’art, de photographiephotographie ou de science, ces ouvrages enrichissent notre imaginaire et offrent une évasion vers de nouveaux horizons.

Parmi les récentes publications, découvrez « Les 100 plus belles photos de l’Univers » par le télescope James-Webb, que les lecteurs de Futura suivent grâce à nos articles dédiés. Ce livre met en avant les récentes avancées en astronomie, offrant un aperçu fascinant des merveilles cosmiques et des détails inédits du cosmoscosmos observés par cet observatoire spatial unique en son genre. Chaque image, accompagnée d’explications claires, suscite étonnement et réflexion, faisant de cet ouvrage un incontournable pour les passionnés d’astronomie.

L’auteur, Alain Riazuelo, est polytechnicien, docteur en astrophysique au CNRS, et astrophysicienastrophysicien à l’Institut d’astrophysique de Paris. Préfacé par John Mather, responsable scientifique du James-Webb, ce livre profite de l’expertise d’Alain Riazuelo, qui a également réalisé des essais et un film sur les trous noirs. C’est un cadeau parfait pour ceux qui souhaitent explorer les mystères de l’Univers.

À l’occasion de la sortie du livre, nous avons eu le plaisir d’interviewer Alain Riazuelo sur la réalisation de l’ouvrage et sur le délicat choix de ces 100 images acquises par le télescope James-Webb. Cet échange a enrichi notre appréciation de l’ouvrage et a permis de mieux comprendre le travail exceptionnel réalisé par le télescope James-Webb et l’équipe scientifique qui l’entoure.

Ne manquez pas de lire cette interview pour en savoir plus sur cet ouvrage ! Et de l’acheter, bien évidemment, sur le site de l’éditeur De Boeck Supérieur, sur Fnac.com ou dans la plupart des librairies.

Futura : Existe-t-il un thème ou une logique particulière qui guide le choix de ces 100 images ?

Alain Riazuelo : Le fil conducteur est le côté esthétique. Mon sentiment est que toutes les images d’astronomie peuvent être un prétexte à parler de science, alors autant parler de science avec de jolies images ! Cela dit, un des messages que j’ai essayé de faire passer (et je présume que vous l’avez ressenti) est que l’imagerie n’est pas la seule fonction des télescopes.

Le gros de la science et du temps d’observation relève de la spectroscopie, raison pour laquelle j’ai mis une infographie à ce sujet, malgré quelques légères réticences de mon éditeur. Pour ce qui est de l’ordre, il est volontairement aléatoire. Une version thématique avec 20 pages de nébuleuses, 20 pages de galaxies et 20 pages d’Univers profond donnait un résultat affreux (surtout pour la partie univers lointain). J’avais envie que le rendu soit à cet égard imprévisible. Pour cette raison, je n’ai pas non plus respecté l’ordre chronologique de la diffusiondiffusion des images, lui-même étant en grande partie aléatoire. J’ai bien sûr respecté l’ordre de publication des images quand cela était nécessaire (cf. les deux versions de Cassiopée A, par exemple, ou la photo anniversaire de Arp 142 proche de la fin du livre). J’ai joué ensuite avec ça, en renvoyant le lecteur à des images des pages précédentes, parfois en donnant leur numéro explicitement, ou en l’invitant à chercher. Le but était d’introduire un petit côté ludique, façon chasse au trésor, pour inciter à revoir les images et y passer plus de temps. J’espère que cela marchera.

Mon sentiment est que toutes les images d’astronomie peuvent être un prétexte à parler de science, alors autant parler de science avec de jolies images !

Futura : Pourriez-vous partager avec nous votre top 3 ou 5 des images que vous aviez envisagées, mais que vous avez finalement décidé de ne pas inclure dans votre livre ? Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Alain Riazuelo : Le format du livre imposait des contraintes, notamment que les images aient une résolutionrésolution minimale de 2000 x 3000 px pour tenir sur une page complète. Certaines images de plus petite taille, comme celle de SN 1987A sont donc passées à l’as. J’aurais aussi aimé mettre une image en gros plan d’au moins un bout des instruments scientifiques du JWSTJWST, notamment la roue à filtre de MiriMiri. C’est dommage car je trouve que cette roue à filtre est vraiment un bel objet. Malheureusement, je n’ai pas trouvé d’image assez grande. Elle est donc seulement en vignette dans la page qui présente la suite d’instruments.

On peut citer aussi quelques cibles astronomiques dont je sais qu’elles ont été imagées il y a moins d’un an, mais qui n’ont pas encore été rendues publiques. S’ajoutent aussi une ou deux images de la constructionconstruction du télescope, notamment la pose des miroirsmiroirs, qui auraient mérité d’être dans le livre, mais elles étaient au format paysage et non portrait. Autant on peut tourner à loisir les images astronomiques puisqu’il n’y a ni haut ni bas dans l’espace, autant sur Terre ça ne marche pas ! Mais rien de grave au final, je pense. J’avais prévenu l’éditeur qu’il fallait finaliser le livre après la seconde image anniversaire diffusée en juillet dernier, ce que nous avons pu faire. Il aurait été dommage que les délais de photocomposition et d’impression l’empêchent.

Je n’ai par contre eu aucun scrupule à enlever toute vue d’artiste, notamment à propos des exoplanètesexoplanètes, qui servent à illustrer avec une esthétique très artificielle différents résultats scientifiques obtenus dans le domaine, mais qui introduisent de la confusion auprès d’une partie du public.

Futura : Quelles sont les observations que vous espérez que le télescope spatial James-Webb réalise, et quels objectifs scientifiques ces observations devraient-elles atteindre ?

Alain Riazuelo : Le JWST voit les choses tellement différemment qu’il est difficile de deviner ce qui rendra bien ou pas. Dans l’infrarougeinfrarouge, certains clichés virent à l’art abstrait, et leur colorisation les éloigne un poil trop (d’un point de vue purement esthétique) de ce qu’on pourrait attendre d’un cliché astronomique. Je pense par exemple à la première photo anniversaire (celle de la couverture), splendide mais un peu irréelle à la fois.

Par contre, tout ce qui relève des galaxies en interaction est magnifique, que ce soit une des toutes premières photos (le quintette de Stéphan) ou Arp 142 (le Manchot et l’Œuf). Il doit y avoir dans le catalogue Arp, que je ne prétends pas connaître par cœur, abondance de cibles qui seront spectaculaires. J’aimerais bien aussi un vaste panoramique sur une galaxie raisonnablement proche. Plus loin que M31, trop vaste pour cela (même HubbleHubble en 30 ans d’existence n’en a fait qu’une petite partie), mais suffisamment proche pour une grande mosaïque. Peut-être Centaurus A, dont j’ai toujours regretté que Hubble ne termine jamais une mosaïque entamée je ne sais plus quand. Mais sans doute le temps nécessaire pour faire cela est-il trop grand pour l’instant. Les « belles » photos, faites presque uniquement pour la beauté du geste, n’ont commencé à être faites en abondance par Hubble qu’à un âge assez avancé.

Futura : Quelles thématiques scientifiques spécifiques espérez-vous que le télescope spatial James-Webb explore à travers ses observations ?

Alain Riazuelo : Concernant les objectifs scientifiques, je tiens à souligner que je ne suis pas impliqué dans des programmes d’observation, donc je me considère plus comme un spectateur qu’un acteur. Mais ce que je peux vous dire c’est qu’un nombre impressionnant de membres de mon laboratoire, pourtant de coloration plutôt théorique, ont fait des demandes d’observation, chose que je sais car le jour où a été rendue publique la liste des demandes acceptées, bien des gens de mon labo faisaient part de leur déception de ne pas avoir été retenus (ceux qui l’avaient été faisant profil bas, bien sûr). Donc, on sait qu’il y a quantité de choses intéressantes à faire, et qui ne pourront être faites rapidement tant la pressionpression (ratio demandes/temps disponible) est forte.

Futura : En quoi le télescope spatial James-Webb a-t-il fait progresser vos recherches sur des sujets tels que l’Univers primordial et les trous noirs, ou dans d’autres domaines ?

Alain Riazuelo : Pour l’Univers primordial, il n’y a pas forcément grand-chose. Mais le JWST va participer à la quête de l’estimation de la constante de Hubbleconstante de Hubble, à laquelle des méthodes différentes donnent des résultats différents (et incompatibles). Selon toute vraisemblance, le JWST va confirmer le résultat des céphéidescéphéides, mais ne pourra donc pas trancher sur les raisons du désaccord ou sur la façon de le faire disparaître. Plus prometteur, c’est une extraordinaire machine à découvrir des supernovaesupernovae. Le relevé Jades a été imagé à un an d’intervalle et on y a découvert (de mémoire) 80 points brillants qui étaient apparus ou avaient disparu. Presque tous étaient des supernovae, souvent très lointaines. C’est évidemment très prometteur, mais je ne saurais vous dire si cela pourra se comparer avec les résultats d’Euclid concernant la reconstitution de l’histoire de l’expansion de l’Univers. Le JWST aura aussi à dire sur la croissance des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs. Aujourd’hui, on dit qu’il y a un problème avec des trous noirs trop massifs, trop tôt dans l’histoire de l’Univers, mais sur foi d’arguments qui restent fragiles. On peut espérer que le JWST clarifiera pas mal de choses.

Futura : Quelles découvertes ou avancées spécifiques attendues ou réalisées vous semblent les plus significatives ?

Alain Riazuelo : D’une certaine façon, je dirais que beaucoup de choses se sont jouées dès la toute première image de calibration, avec l’étoileétoile HD84406. L’image de cette étoile fourmillait de galaxies en arrière-plan. On s’est rendu compte que tout cliché du JWST en serait constellé. Tout champ pris par le JWST est un champ profond dès lors que le temps de pose excède quelques dizaines de minutes. Ce que Hubble nécessitait plusieurs jours, le JWST le fait en quelques heures. Quoi que l’on étudie, c’est un gain de temps vertigineux.

Futura : Hubble a produit des images iconiques qui ont marqué l’astronomie. Pensez-vous qu’il sera possible pour le télescope spatial James-Webb de réaliser des images tout aussi emblématiques, malgré la qualité exceptionnelle de ses observations ? Je me trompe en pensant le contraire ?

Alain Riazuelo : Nous verrons ce qu’il en est d’ici quelques années, mais je suis plutôt d’accord avec vous. Le choc du flux régulier d’images spectaculaires de Hubble n’avait pas d’équivalent à l’époque. Il y avait eu avant les images des survolssurvols des planètes par Voyager et d’autres missions spatiales, qui étaient des événements extraordinaires, mais ponctuels. Avec Hubble, on en recevait en permanence, et, je crois, l’effet a été amplifié par la diffusion d’InternetInternet qui a pris son essor à ce moment-là (1995). Ajoutez à cela le traitement des couleurscouleurs (en partie proposé par des artistes, d’ailleurs), et vous avez le choc des « Piliers de la Création » par exemple. Aura-t-on un tel saut en qualité avec le JWST ? Probablement pas. La résolution du JWST n’est pas meilleure que Hubble, puisque le bénéfice du plus gros miroir est atténuéatténué par la plus grande longueur d’ondelongueur d’onde d’observation (d’ailleurs les images de Miri, dans l’infrarouge lointain, ont un côté « flou » un poil frustrant).

Cela dit, les images infrarouges montrent le monde différemment, et peuvent produire un réel choc émotionnel, comme cela a été le cas il y a deux ans avec les « Falaises cosmiques » de la nébuleuse de la Carène. Il y a je ne sais combien de livres d’astronomie qui ont fait leur couverture avec. Il y aura certainement quelques images iconiques avec le JWST, mais par forcément autant. Cela dit, je vous parle ainsi parce que je suis un « vieux » qui a vécu l’époque Hubble. Pour des gens plus jeunes, le choc émotionnel de Hubble n’a pas eu lieu et ils auront celui du JWST. C’est peut-être donc une question de générations : André BrahicAndré Brahic parlait des images de Voyager avec une émotion que je n’ai pas ressentie, pour donner un exemple plus lointain dans le temps.

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