« L’effondrement de la biodiversité a beaucoup à voir avec les trois gros défauts de l’humain. »

Dans un contexte où la biodiversité s’effondre à un rythme alarmant, l’appel à l’action n’a jamais été aussi pressant. Selon les dernières estimations, près d’une espèce sur trois est menacée d’extinction et les populations d’animaux sauvages ont chuté de 68 % en moins de 50 ans.

Gilles Boeuf, biologiste spécialiste en physiologie environnementale et biodiversité, ancien président du Muséum national d’Histoire naturelleMuséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et chercheur à l’Ifremer partage à Futura ses constats alarmants sur la biodiversité.

Quel avenir pour la biodiversité aujourd’hui et quels sont les principaux facteurs qui la menacent ?

Gilles Bœuf : La biodiversité, en bref, c’est la partie vivante de la nature et aujourd’hui, elle s’effondre. Et les causes de cet effondrement sont bien connues. 

« Ce qui est très clair, c’est que si on ne fait rien, oui, on sera foutus », Gilles Boeuf

La première, c’est la destruction directe de la nature par l’Homme. Des événements naturels comme les éruptions volcaniques ou les impacts de météoritesmétéorites ont causé des extinctions par le passé, mais aujourd’hui, c’est l’activité humaine qui menace le vivant.

Quand on n’était sur Terre que quelques millions d’individus, on ne nuisait pas trop au système. Mais avec l’élevage, l’agriculture et l’explosion démographique, on s’est mis à construire des routes, des villes et des aéroports et cela représente environ deux tiers de l’effondrementeffondrement actuel de la biodiversité.

La deuxième cause, c’est la pollution. Alors oui, il y a des poisons présents naturellement dans la nature, mais elle n’a jamais produit un poison sans qu’elle ne sache comment le dégrader. Nous, on contamine, avec des métaux lourds, très toxiques pour le vivant, avec des pesticides, des insecticides, des biocides. Et le vivant ne sait pas dégrader ces produits là, alors ils s’accumulent dans l’airair, dans l’eau et les sols, contaminant les écosystèmesécosystèmes.

La troisième cause, c’est la surexploitation : on chasse et on pêche au-delà des capacités de renouvellement de la nature. Si on était intelligents, on pêcherait, on chasserait, dans un cadre précis, qui correspond à la capacité de renouvellement de ce milieu. Mais aujourd’hui on a dépassé les seuils presque partout.

La quatrième cause, c’est la dissémination des espèces. On prend une espèce en Afrique pour l’amener en Amérique, c’est une catastrophe, parce que le système n’a pas prévu ça. Aujourd’hui on croule sous les lapins et les pissenlitspissenlits aux Kerguelen.

Le pissenlit dans les îles Kerguelen

C’est l’inverse au Japon. Il y a là bas des serpents très dangereux, alors on y a emmené des mangoustes, sauf qu’on a pas réfléchi, mais la mangouste est un animal diurnediurne et les serpents, des animaux nocturnesnocturnes. Alors la mangouste n’a pas mangé les serpents mais elle a dévoré le reste de l’île…

Et la cinquième cause, c’est le changement climatique trop rapide. Que le climatclimat change, ça ne pose pas de problème, c’est naturel. Mais le problème aujourd’hui c’est qu’il change beaucoup trop rapidement et le vivant n’arrive pas à suivre.

Est-ce que notre déconnexion croissante avec la nature explique notre incapacité à prendre conscience de l’effondrement de la biodiversité ?

Gilles Bœuf : Oui. Nous avons oublié qu’on fait partie du vivant, c’est ça le problème.

Certains pensent que ce phénomène est surtout urbain, mais même dans les centres de formation agricole où j’enseigne, beaucoup ne savent plus reconnaître les oiseaux, les chats ou les papillons.

Nous avons oublié ce qui est essentiel, jusqu’à la composition de notre corps. Dans le vivant, tout est majoritairement composé d’eau. C’est une ressource vitale qu’on néglige complètement. Sans eau liquideliquide, la vie n’aurait jamais émergé sur Terre et, pourtant, on la traite comme un simple moyen de laver sa voiturevoiture.

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L’effondrement de la biodiversité a beaucoup à voir avec les trois gros défauts de l’humain. D’abord, l’imprévoyance. On fait tout et n’importe quoi sans réfléchir à ce qui va se passer. Le deuxième, c’est l’arrogance. Ils sont toujours meilleurs que les autres humains. Et le troisième c’est la cupidité : toujours plus. Aucune autre espèce vivante n’est comme ça.

La science n’est pas une opinion, elle n’est pas de droite ou de gauche. La science, ce sont des faits qui sont discutés, qui évoluent.

On oublie que quand on détruit, on s’auto-détruit. Rappelons tous les jours qu’on est vivant nous aussi, ça changera beaucoup de choses.

Les gouvernements et les politiques publiques peuvent-ils jouer un rôle efficace dans la conservation de la biodiversité à long terme ?

Gilles Bœuf : Je suis assez critique envers les politiques, car je suis de plus en plus déçu de leur incapacité à s’approprier pleinement cet enjeu, qu’ils soient de droite ou de gauche d’ailleurs. 

Si on vit dans un monde où on est obsédé par sa réélection, on ne prendra pas les mesures difficiles, courageuses et donc impopulaires qu’il faut aujourd’hui prendre pour préserver la biodiversité.

Les scientifiques, comme moi, continuent de mettre en garde, mais les responsables politiques ne nous écoutent pas tout le temps, alors même que nos prédictions se confirment les unes après les autres. Ça ne les préoccupe pas, parce qu’ils sont dans des rendements économiques très courts.

Quelle part réserver à l’action individuelle, si l’on ne peut se reposer sur les gouvernements ?

Gilles Bœuf : Le maître-mot, c’est l’association. On s’associe, on crée un groupe associatif qui a envie de changer des choses. Les ONG et les sciences participatives, c’est extrêmement important. Chaque citoyen a un rôle crucial à jouer.

Je dis souvent que finalement, largement aussi important que la carte d’électeurs, c’est la carte de crédit, ce que vous achetez, ce que vous mangez, comment vous vous déplacez. Le changement viendra avec des décisions politiques, mais aussi et surtout avec l’implication citoyenne et associative.

Un autre acteur clé qu’on à tendance à oublier, ce sont les entreprises. À la vitessevitesse où les choses évoluent, si elles ne s’impliquent pas, nous n’atteindrons pas nos objectifs assez vite. Science, politique, associations citoyennes et entreprises, la collaboration de tous ces piliers est essentielle pour un changement durable.

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Un changement est-il nécessaire aujourd’hui, et comment faire en sorte qu’il se réalise notamment avec la COP16 sur la biodiversité en ce moment ?

Gilles Bœuf : Aujourd’hui, il est clair qu’un changement est nécessaire et cela passe par des réformes politiques et économiques profondes. Cependant, le modèle actuel est incompatible avec les transformations écologiques. Et pour moi, un système économique qui permet de gagner de l’argentargent en détruisant la biodiversité, en la surexploitant, c’est un système à détruire. Évidemment c’est facile à raconter, mais c’est plus complexe à mettre en œuvre.

Ayant participé à plusieurs COP sur le climat et la biodiversité, je constate que ces rencontres ont au moins le mérite de mettre ces enjeux en lumièrelumière. Mais pour avancer réellement, il faudra des politiques exceptionnels, des personnes prêtes à sortir des sentiers battus, à s’exprimer et à prendre des décisions courageuses.

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