L’agence spatiale chinoise vient de l’annoncer. La mission Chang’e 6 a rapporté précisément 1 935 grammes de roches de la face cachée de la Lune. Mais quels espoirs reposent sur ces échantillons ? Interview exclusive avec l’astrophysicien Sylvestre Maurice de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap).
Chang’e 6 est un succès total ! Pas moins de 1 935 grammes d’échantillons ont été collectés (sur un objectif de deux kilos) à la surface lunaire et aussi à un mètre de profondeur à l’aide d’une foreuse. Quelles réponses vont apporter ces roches ?
Spécialiste de la Lune, Sylvestre Maurice était au centre de contrôle en Chine pendant les opérations à la surface. Il fait partie de l’équipe responsable du détecteur de radon français Dorn de l’Irap en partenariat avec le Cnes, le CNRS et l’université de Toulouse. Pour lui, rapporter sur Terre des échantillons, c’est « le graal pour les planétologues » !
Futura : 1 935 grammes ont été rapportés. Est-ce un nouveau trésor pour les scientifiques ?
Sylvestre Maurice : 1 935 grammes, c’est très bien. C’est bien mieux que les missions soviétiques [Luna, 1970-1976, NDLRNDLR] qui rapportaient quelques centaines de grammes. Du point de vue du chercheur en géochimie, on peut faire environ 1 000 échantillons avec juste un gramme. Donc, c’est beaucoup.
Futura : On a pu collecter aussi des échantillons en profondeur, mais pas autant que prévu…
Sylvestre Maurice : On n’a pas pu forer à plus d’un mètre de profondeur. Je crois qu’ils étaient un peu déçus au centre de commande, mais même les astronautes [des missions Apollo] avaient eu énormément de mal à creuser en profondeur.
Futura : La France a déjà reçu des échantillons de Chang’e 5. A-t-on une chance d’obtenir des échantillons de Chang’e 6 ?
Sylvestre Maurice : Je crois que les Chinois sont dans une philosophie d’ouverture de leurs échantillons à la communauté sur appel d’offres. Mais on sait que ça va aussi passer par des voies diplomatiques et culturelles, comme pour les roches de Chang’e 5Chang’e 5 que nous avons reçues. Comme nous avons apporté Dorn, nous avons des chances.
Futura : Quelle est la valeur de ces échantillons en comparaison des autres en provenance de la face visible de la Lune ?
Sylvestre Maurice : Il y a une sorte de confusion entre face cachée et face visible. Déjà, la valeur scientifique des échantillons de Chang’e 6 repose dans le fait qu’ils proviennent d’un site très éloigné de tous les autres. Mais le plus intéressant est surtout que les Chinois ont rapporté des échantillons du bassin du pôle Sud Aitken [bassin d’impact de 2 500 kilomètres de diamètre qui s’étend au-delà du pôle Sud lunaire. Chang’e 6 s’était posée à 46° Sud, donc assez loin du pôle Sud ! NDLR]. Il résulte de l’impact avec un gros objet de 200 kilomètres de taille qui a fait décoller la surface. Une petite croûtecroûte s’est reformée mais c’est un endroit unique dans le Système solaire, car il nous rapproche beaucoup du manteaumanteau lunaire.
On a plein de grandes questions en suspens. On va tâcher de savoir si le Grand bombardement tardif a bien existé [période de bombardement des planètes telluriquesplanètes telluriques du Système solaire par des météoritesmétéorites ou des comètescomètes, NDLR], ou si c’est un biais issu de l’analyse des échantillons d’ApolloApollo. On va aussi mesurer du radon des échantillons pour compléter les données de l’instrument Dorn.
Futura : C’est donc une occasion unique d’étudier des roches pouvant provenir du manteau lunaire ?
Sylvestre Maurice : Quand une planète se refroidit, les éléments lourds migrent vers le centre gravitationnel tandis que les plus légers forment une croûte solidesolide à la surface. Les éléments en dessous trouvent un moyen de remonter en se modifiant via le volcanismevolcanisme sur Terre comme sur la Lune. Mais en première approximation, une planète nous cache sa structure interne. C’est pour ça que l’on aime bien les sismomètressismomètres. Mais ce n’est pas facile d’étudier la composition chimique de l’intérieur d’une planète, donc on espère que la nature en a fait remonter ici ou là. C’est probable d’en trouver au bassin Aitken, mais on ne sait pas bien à quoi s’attendre avec les échantillons de Chang’e 6.
Sylvestre Maurice : Ces échantillons sont intéressants mais pas révolutionnaires car on n’est qu’à un mètre sous terre au mieux. Ils ont été enfouis par ce qu’on appelle le jardinage naturel, où un petit impact vient en recouvrir un autre, etc. Globalement, un mètre de profondeur remonte à un milliard d’années. Mais il y a plein de choses intéressantes, sur des mesures de conductivité thermiqueconductivité thermique par exemple. Donc, affaire à suivre.
Futura : À propos de Dorn, toutes les mesures se sont-elles bien passées ?
Sylvestre Maurice : Les données sont là. Les Chinois ont été très réactifsréactifs et ils ont orienté l’atterrisseur de sorte que Dorn soit à l’ombre en permanence pendant les 49 heures sur place. C’est bluffant car ils ont montré leur contrôle en attitude. On fait la mise en forme des données et on vérifie les paramètres de l’instrument. Dorn a fonctionné, mais il nous faudra du temps pour analyser.