Régulièrement, des travaux portant sur l’énergie et la matière noirematière noire occupent le devant de la scène de l’actualité scientifique dans le domaine de l’astrophysique et de la cosmologie. Le grand public sait sans doute que l’énergie noire est une explication proposée pour rendre compte d’une accélération de l’expansion de l’espace du cosmoscosmos observable depuis environ 7 milliards d’années, alors que l’on s’attendait, avant sa découverte à la fin des années 1990, à mesurer une décélération depuis le Big BangBig Bang survenue il y 13,7 milliards d’années.
La matière noire, quant à elle, permet d’expliquer l’existence des galaxies et des mouvementsmouvements anormaux des étoilesétoiles qui les composent, ainsi que des galaxies dans les amas de galaxiesamas de galaxies quand on calcule ces mouvements en se basant sur les distributions de matière composée de particules connues et ordinaires, les protonsprotons et les neutronsneutrons.
Toutefois, matière noire et énergie noire pourraient aussi être des sortes d’épicycles, cachant le simple fait qu’il faudrait modifier la théorie de la gravitationgravitation relativiste, qui ne serait pas celle d’EinsteinEinstein : la théorie de la relativité généralerelativité générale dont la formulation finale a émergé à la fin de l’année 1915. Il existe de fait non seulement des théories alternatives à la gravitation selon Einstein, mais aussi selon NewtonNewton, dans ce dernier cas, il s’agit de la théorie avancée déjà au début des années 1980 par le physicien israélien Mordehai Milgrom dans le cadre de sa Modified Newtonian Dynamics, bien connue aujourd’hui par l’acronyme Mond.
Présentation par Françoise Combes de son cours 2016-2017 : « Énergie noire et modèles d’univers ». La cosmologiste et astrophysicienne explique la problématique de l’énergie noire, ses solutions possibles et les programmes d’observations prévues pour résoudre l’énigme de sa nature. © Collège de France
Les cosmologistes de la noosphère se sont dotés de plusieurs instruments pour tenter d’y voir plus clair, notamment le satellite EuclidEuclid et le télescopetélescope Vera Rubin sur Terre. Celui qui revient au grand jour aujourd’hui en ce mois de novembre 2024 est le Dark Energy Spectroscopic Instrument (Desi).
Déjà, en avril 2024, Futura avait annoncé que Desi avait été utilisé par plus de 900 chercheurs issus de plus de 70 institutions à travers le monde gérée par le Lawrence Berkeley National Laboratory (Berkeley Lab), en Californie, pour révéler la carte en 3D de la distribution des galaxies la plus grande réalisée et surtout, livrant la détermination la plus précise de la vitessevitesse d’expansion du cosmos observable.
C’était une avancée importante qui confirmait notamment l’existence de l’énigmatique tension de Hubble entre la détermination de cette vitesse, en utilisant les données de rayonnement fossilerayonnement fossile collectées par le satellite Plancksatellite Planck, et entre la détermination fournie par l’étude des supernovaesupernovae, notamment tout récemment encore par le prix Nobel de physique Adam Riess.
Mais surtout, l’analyse de la carte, combinée aux analyses du rayonnement fossile rendues possibles par le satellite Planck et à celles des données concernant les supernovae SNSN Ia, laissait penser que l’énergie noire accélérant l’expansion du cosmos n’est peut-être pas constante dans le temps. En l’occurrence, son évolution ferait que l’accélération diminuerait.
Bien qu’on ne puisse pas encore exclure qu’il ne s’agisse que d’un effet statistique des mesures qui disparaitrait quand on aura plus de données, cela pourrait trahir l’existence d’une nouvelle physiquephysique et modifier notre vision de l’avenir de l’Univers qui pourrait être un Big Crunch, suivi d’un nouveau Big Bang, plutôt qu’une expansion éternelle.
L’instrument spectroscopique pour l’énergie noire Desi (Irfu, CEA) a vu sa « première lumière » il y a quelque temps déjà et il ne permet pas seulement d’étudier l’énergie noire, mais aussi des alternatives à la théorie de la gravitation d’Einstein. Explications. © CEA Sciences
Les membres de la collaboration Desi viennent de confirmer ce qu’ils expliquaient déjà en avril, avec une impressionnante salve d’articles scientifiques, déposés sur arXiv, complétés par des mois de travail supplémentaires et de vérifications croisées en mesurant la manière dont les galaxies et la matière sont distribuées, à différentes échelles dans l’espace en liaison avec le phénomène connu sous le nom d’oscillations acoustiques baryoniques (BAO).
Mais, un communiqué du Berkeley Lab à ce sujet met toutefois l’accent sur le fait que les analyses des données collectées avec Desi continuent de favoriser la théorie de la relativité générale d’Einstein, en mettant également des contraintes non plus seulement sur la nature de l’énergie noire, mais aussi de possibles alternatives à la théorie de la gravitation. Mond, ou pour le moins certaines de ses incarnations possibles, reste toutefois encore en lice. Il n’en reste pas moins que Desi a fourni le test le plus précis à ce jour de la gravitégravité à très grande échelle.
Pauline Zarrouk, cosmologiste au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) travaillant au Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies (LPNHE) et qui a co-dirigé la nouvelle analyse, explique dans le communiqué du Berkeley Lab que « la relativité générale a été très bien testée à l’échelle des systèmes solairessystèmes solaires, mais nous devions également vérifier que notre hypothèse fonctionne à des échelles beaucoup plus grandes. Étudier la vitesse à laquelle les galaxies se sont formées nous permet de tester directement nos théories et, jusqu’à présent, nous sommes en phase avec ce que la relativité générale prédit à des échelles cosmologiques ».
Les résultats de Desi fournissent également de nouvelles limites supérieures pour les massesmasses des neutrinosneutrinos, indiquant que leur somme devrait être inférieure à 0,071 eV/c2.
Plus de 6 millions de galaxies observées
Pour compléter les explications précédentes, reprenons largement ce que Futura expliquait aussi en avril 2024.
La collaboration Desi est menée par le Laboratoire national Lawrence Berkeley (LBNL) du Département des États-Unis de l’énergie, mais des chercheurs français du CEA-Irfu y prennent également une place importante. La campagne d’observation a débuté en 2021 avec pour objectif premier un sondage de la structure de l’UniversUnivers observable en remontant dans le temps pour observer des galaxies et des quasarsquasars tels qu’ils étaient jusqu’à il y a 11 milliards d’années.
En un an, Desi a cartographié la répartition de galaxies plus qu’il n’avait été possible de le faire avec de précédentes campagnes d’observations similaires en 20 ans, notamment avec le fameux Sloan DigitalDigital Sky Survey. Cet exploit a été rendu possible par la robotiquerobotique et l’intelligence artificielleintelligence artificielle permettant d’obtenir les spectresspectres de 5 000 galaxies toutes les 20 minutes, totalisant plus de 100 000 galaxies par nuit avec le télescope Mayall de 4 mètres au Kitt Peak Observatory (Arizona).
Les données collectées pendant la première année concernent plus de 6 millions de galaxies et environ 450 000 quasars. Si une avalancheavalanche de nouveaux articles parle de ce qu’il est déjà possible de déduire au bout d’une année d’observation, les chercheurs en possèdent déjà trois sur lesquelles ils travaillent. In fine, sur cinq ans, environ 37 millions de galaxies auront été étudiées et environ 3 millions de quasars.
Des informations sur la géométrie de l’Univers, son expansion et ses neutrinos
Les astrophysiciensastrophysiciens ont déterminé avec Desi les caractéristiques de ce qui est appelé des « oscillations acoustiques baryoniques » ou BaryonBaryon Acoustic Oscillations (BAO) en anglais. Nous y reviendrons en détail un peu plus loin.
Tout comme avec le rayonnement fossile, ces BAO sont bavardes en ce qui concerne les propriétés de notre Univers. Elles confirment que le meilleur modèle géométrique du cosmos observable est celui d’un Univers plat comme une feuille de papier, à la précision des mesures actuelles, ce qui n’exclut pas qu’il soit en fait très faiblement courbé comme avec une grande sphère ou qu’il soit bel et bien plan, mais de taille finie avec la topologie d’un tore.
Comme on le disait précédemment, Desi confirme l’existence de la tension de HubbleHubble en déterminant une valeur de la fameuse constante de Hubbleconstante de Hubble-Lemaître très proche de la valeur obtenue avec le rayonnement fossile par Planck, à savoir environ 68 km s−1 Mpc−1 pour Desi et environ 67 km s−1 Mpc−1 pour Planck. L’étude des supernovae conduit à environ 73 km s−1 Mpc−1.
Desi donne aussi des renseignements sur la physique des neutrinos en posant une borne sur la somme de leurs masses qui n’est forcément pas nulle en raison de l’existence du phénomène d’oscillation des neutrinos. Mais, ce n’est pas tout. On sait que le modèle standardmodèle standard de la physique des hautes énergies suppose l’existence de trois types de neutrinos. Mais il pourrait y en avoir plus, ainsi que des particules très rapides se comportant comme des neutrinos, mais pas encore découverts. Planck, comme Desi, permet d’estimer le nombre de types total de ces particules, neutrinos compris, qui serait une composante de matière noire chaude par opposition à la matière noire froide du modèle cosmologique standard. Aujourd’hui, Desi confirme qu’il n’y a probablement que trois types de neutrinos.
Survolez une tranche de la carte 3D des galaxies collectée au cours de la première année de la campagne d’observation avec Desi (Dark Energy Spectroscopique Instrument). La Terre est à la pointe, avec les galaxies les plus éloignées situées à des distances de 11 milliards d’années-lumière. Chaque point représente une galaxie. Cette version de la carte Desi comprend 600 000 galaxies, soit moins de 0,1 % du volume total exploré. © NOIRLab
Un nouvel âge d’or de la cosmologie ?
Mais le résultat le plus important de la première année d’observation de Desi, ce sont les implications sur la nature de l’énergie noire, aussi appelée énergie sombre. On suppose ordinairement qu’elle cause l’accélération de l’expansion de l’Universaccélération de l’expansion de l’Univers observable depuis environ 6 milliards d’années et qu’elle se présente sous la forme de la fameuse constante cosmologiqueconstante cosmologique lambda d’Einstein. Si tel est bien le cas, elle ne varie pas dans le temps et se comporte comme une densité d’énergie qui n’est pas diluée par l’expansion, comme c’est le cas avec un gazgaz de particules de matière ou de lumièrelumière.
Ainsi, les cosmologistes disent en général que, jusqu’à présent, le meilleur modèle de la cosmologie standard est celui dit Lambda-CDM, avec de la matière noire froide (Cold Dark Matter, en anglais). Mais, dans un communiqué du CEA au sujet des résultats de Desi, Arnaud de Mattia, physicienphysicien à l’Irfu qui codirige le groupe d’interprétation cosmologique des données de Desi, explique : « Avec les observations très précises de Desi, le modèle Lambda-CDM tient toujours. Cependant, nous observons des déviations qui pourraient indiquer que l’énergie sombre évolue au cours de l’histoire de l’Univers. Nous entrons dans un nouvel âge d’or de la cosmologie où nous allons pouvoir préciser la nature de l’énergie sombre et construire une meilleure compréhension de la dynamique de l’Univers. »
On peut trouver une présentation de tous ces résultats dans l’article DESI 2024 VI: Cosmological Constraints from the Measurements of Baryon Acoustic Oscillations et un résumé sur le site du CEA.
Tout ceci n’est qu’un début : la précision des déterminations va encore croître dans les années qui viennent car, comme l’explique, également dans le communiqué, Étienne Burtin, physicien à l’Irfu et coresponsable du groupe d’analyse des données de Desi : « À chaque nuit claire qui passe au Kitt Peak, nous mesurons jusqu’à 150 000 nouveaux objets astrophysiques extragalactiques. Nous avons accumulé aujourd’hui trois fois plus de données qu’au cours de la première année et la moisson continue. Desi est en route vers l’énergie sombre ! ».
N’oublions pas que Euclid et le télescope Vera Rubin vont aussi fournir des mesures concernant la nature de l’énergie noire. Mais, en attendant, il faut rester prudent… Le signal observé, comme disent les physiciens dans leur jargon, ne pourrait être qu’une simple fluctuation statistique comme l’est la forme d’un nuagenuage prenant temporairement, mais uniquement par hasard, l’aspect d’un objet ou d’un animal.
37 millions de galaxies pour déterminer la nature de l’énergie noire et le destin de l’Univers
Rappelons que personne ne sait vraiment quelle serait l’origine de l’énergie sombre. Deux théories principales sont généralement considérées, celle de l’énergie quantique du vide et celle de l’existence d’un nouveau champ de particules analogue à celui du bosonboson de Brout-Englert-Higgs. Contrairement à la première théorie où l’énergie noire ne peut pas changer dans le temps ni l’espace car étant une manifestation des fluctuations quantiques des champs sous contrôle des fameuses inégalités de Heisenberginégalités de Heisenberg, la densité d’énergie de ce nouveau champ, appelé un champ de quintessence en souvenir d’AristoteAristote, peut varier dans l’espace et dans le temps.
Si tel est bien le cas, le destin ultime du cosmos ne nous sera pas connu tant que nous ne connaîtrons pas la nature précise de la quintessence. En effet, de répulsive et entraînant donc une accélération de l’expansion, elle pourrait devenir attractive et provoquer dans un futur déterminable un effondrementeffondrement de l’Univers observable pouvant peut-être (à nouveau ?) conduire à un rebond avec un nouveau Big Bang.
Pour tester toutes ces hypothèses, il faut pouvoir mesurer suffisamment précisément, et sur une période d’au moins 11 milliards d’années, les valeurs de la vitesse d’expansion du cosmos observable et c’est ce que les astrophysiciens et cosmologistes ont entrepris de faire avec plusieurs projets, dont Desi, pour lequel l’objectif principal est de mesurer avec une précision inférieure à 1 % la variation au cours du temps de la vitesse d’expansion de l’Univers observable, variation qui dépend de la nature physique de la cause de l’accélération récente de cette expansion. L’un des ingrédients pour y parvenir suppose la mesure du décalage spectral vers le rouge de chacune des 37 millions de galaxies qu’il est prévu d’étudier pour la combiner notamment à la façon dont ces galaxies se répartissent en 3D dans le volumevolume d’espace observé, et pendant donc 11 milliards d’années.
Pour cela, comme il est expliqué dans les vidéos précédentes du CEA, Desi dispose automatiquement et successivement des paquetspaquets de 5 000 fibres optiquesfibres optiques sur l’écran formant les images de ces galaxies. Chaque fibre étant associée à une galaxie, elle conduit la lumière reçue vers un des 10 spectrographesspectrographes équipant le télescope.
La tâche devrait durer environ cinq ans et les millions de spectres collectés seront donc analysés avec des algorithmes d’apprentissage profondapprentissage profond, comme ceux utilisés dans les détecteurs du LHCLHC pour identifier et mesurer des événements rares dans le déluge des particules produites par les collisions de protons.
On peut donc espérer que, dans quelques années et grâce à l’intelligence artificielle, on en saura plus sur la nature de l’énergie noire et peut-être sur l’origine et la destinée du cosmos.
Les BAO, des ondes sonores voyageant à la moitié de la vitesse de la lumière
Venons-en maintenant à quelques explications sur les ondes acoustiquesondes acoustiques baryoniques ou BAO (Baryon Acoustic Oscillations), que l’on peut mettre en évidence indirectement en faisant des analyses savantes de ce que l’on appelle des corrélations statistiques dans des échantillonnageséchantillonnages des populations de galaxies et d’amas de galaxies. On peut les voir grossièrement comme des structures sphériques, des bulles où se concentrent les galaxies et la matière.
Ces bulles de galaxies ont été prédites il y a presque 50 ans par le prix Nobel de physique James Peebles. Mais, en fait, elles avaient déjà été pressenties dans le cadre de ce qui avait été appelé la théorie du Big Bang froid par Andrei Sakharov dès le milieu des années 1960, quelques années avant Peebles. On ne fait plus que référence aujourd’hui aux travaux du prix Nobel avec un de ses collègues car ils concernaient la théorie du Big Bang chaud, un acquis définitif du modèle standard de la cosmologiemodèle standard de la cosmologie, ce qui n’est peut-être pas le cas de la matière noire ni de l’énergie noire.
Les BAO sont précisément un des phénomènes que les cosmologistes utilisent depuis des années pour mesurer les paramètres du modèle standard de la cosmologie, comme la constante de Hubble-Lemaître, la courbure de l’Univers ou bien l’énergie noire.
Pendant le Big Bang, selon le modèle standard, des fluctuations quantiques de densité de matière sont produites qui font s’effondrer rapidement des concentrations de matière noire. Ces concentrations attirent la matière baryonique normale formée de protons et de neutrons mais contrairement à la matière noire, ces baryons sont sensibles à la force électromagnétique, de sorte que le gaz de photons baignant toute la matière s’oppose par sa pression à la matière baryonique. Il se produit alors des ondes acoustiques sphériques qui se propagent, un peu comme le feraient les ondes autour des points d’impact de gouttes de pluie dans une mare et comme le montre cette animation. Ces ondes se superposent, mais quand les atomes se forment au moment de la recombinaison, la pression de radiation n’existe plus et des bulles de matière se figent. Enfin presque, car l’expansion de l’espace va ensuite les dilater. © CAASTRO
Voici comment les BAO se forment. Après le début de l’Univers observable et au moins depuis la période de la nucléosynthèsenucléosynthèse primordiale, quelques minutes après le mythique temps de Plancktemps de Planck, l’Univers est un mélange de baryons couplés aux photonsphotons, baignant déjà dans la matière noire.
Les fluctuations de densité de la matière noire génèrent alors des ondes sonores sphériques s’éloignant à presque la moitié de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière des zones de surdensité de la matière noire. Au moment de la recombinaisonrecombinaison, lorsque les premiers atomesatomes neutres apparaissent 380 000 ans après le Big Bang, la lumière se découple de la matière baryonique et le front de ces ondes sonores poussé par le flux de photons se fige temporairement.
Il en résulte que des zones de surdensité de matière normale formant des coquilles (dont le diamètre est fixé par la vitesse des ondes sonores produites par les oscillations acoustiques) se forment dans le cosmos observable. Ces zones vont être des lieux privilégiés de formation de galaxies et de leur accumulation sous forme d’amas. Plus tard, la présence de plus en plus dominante de l’énergie noire (ce qui n’était pas le cas dans les premiers milliards d’années) va influer sur le taux de croissance des amas de galaxies.
Surtout, si l’on considère un grand échantillon de galaxies sur la surface d’une sphère centrée sur l’observateur terrestre (donc à une même époque de l’histoire du cosmos et à une même distance de nous pour chaque galaxie) et que l’on en mesure les distances entre deux paires, il apparaîtra un excès de ces paires pour une valeur de distance liée à celle des coquilles de matière dont on a précédemment parlé, comme le montre la vidéo ci-dessus.
Une excellente présentation des BAO. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PBS Space Time
Une clé de l’équation d’état de l’énergie noire
On dispose alors d’une sorte de mètre étalon dont la longueur intrinsèque est connue à une époque donnée de l’histoire cosmique. En mesurant la valeur apparente de cette longueur pour nous, on peut en déduire une distance absolue. Et si l’on mesure différents décalages spectraux, on peut dresser une courbe reliant distance cosmologique et décalage spectral, des mesures de distance et de temps permettant d’estimer des vitesses d’expansion de l’espace à une date donnée. C’est en jouant à ce jeu, mais avec la luminositéluminosité apparente des étalons de luminosité – que sont les supernovae SN Ia – que l’on a justement découvert l’expansion accélérée de l’espace depuis quelques milliards d’années.
Or, en fonction du modèle cosmologique que l’on considère, avec ou sans énergie noire, cette dernière étant ou non une constante cosmologique, on n’obtient pas la même courbe. De même, le taux de croissance des amas de galaxies n’est pas le même. C’est donc une seconde manière, avec les supernovae, de démontrer l’existence de l’énergie noire et d’en explorer la nature.
Terminons en reprenant largement les explications du communiqué du CEA au sujet du caractère variable de l’énergie noire suggéré par Desi. On commence par modéliser l’énergie noire comme un fluide avec une densité ρ et une pressionpression P reliée par une équationéquation d’état P = w ρ (voir « Le saviez-vous ? »).
En supposant un paramètre d’équation d’état w constant, les données BAO de Desi seules, et en combinaison avec les mesures de Planck et les mesures de luminosité de trois échantillons de supernovae SN Ia (Pantheon+, Union3, DES-Y5), on constate que l’équation d’état favorisée est avec w = -1, la valeur correspondant à une vraie constante cosmologique.
Mais, si l’on fait l’hypothèse d’une énergie noire variable dans le temps, on peut la paramétriser avec w = w0 + (1 – a) wa, où a = 1 / (1 + z), le facteur d’échelle de l’Univers donné par le décalage spectral vers le rouge, et w0 et wa, deux paramètres constants.
Cette fois-ci, avec les mêmes données que précédemment, on trouve que ce qui est favorisé, c’est w0 > -1, wa < 0, alors que les valeurs attendues pour la constante cosmologique sont (w0, wa) = (-1, 0) – en pointillés sur la figure ci-dessus.
Il semble donc que les données préfèrent une accélération de l’expansion légèrement différente d’une constante cosmologique, plus rapide au début de la domination de l’énergie noire sur l’expansion qui a débuté il y a 6 milliards d’années, et moins rapide aujourd’hui.
Le saviez-vous ?
Einstein nous a appris que l’énergie courbe l’espace-temps, lequel peut en réponse devenir dynamique, de sorte que l’espace peut se retrouver en expansion ou en contraction, comme le montrent les calculs avec les équations de la théorie de la relativité générale. La pression P est équivalente à une densité d’énergie ρ et c’est pourquoi un terme de pression dans ces équations peut engendrer là aussi une expansion ou une contraction.
Il existe une équation reliant la pression et la densité d’énergie du cosmos observable, densité d’énergie qui peut résulter de la présence de matière ordinaire ou de matière noire et bien sûr les deux, et d’une autre composante comme la fameuse constante cosmologique d’Einstein derrière laquelle se cache peut-être une mystérieuse énergie noire accélérant l’expansion du cosmos. On parle d’une équation d’état et elle s’écrit avec un paramètre w tel que P = wρ.
On pourrait imaginer une énergie noire qui évolue dans le temps et qui au lieu d’accélérer l’expansion pour l’éternité, conduisant les galaxies à devenir si éloignées les unes des autres qu’un observateur dans l’une d’entre elles ne pourra plus les voir, finira par avoir un comportement inverse et changera l’expansion en contraction, peut-être pour produire finalement un nouveau Big Bang après un Big Crunch.
On comprend bien qu’il est du plus haut intérêt pour connaître le destin de l’Univers et donc le nôtre, nous qui sommes des poussières d’étoiles comme aimait à le dire le regretté Hubert Reeves, de déterminer la valeur du paramètre w. C’est pour tenter de le mesurer avec plus de précision qu’ont été lancés il y a des années des programmes d’observation comme le Dark Energy Survey (DES) ou encore Dark Energy Spectroscopic Instrument (Desi).
Si w vaut exactement -1, alors l’accélération est causée par la fameuse constante cosmologique d’Einstein qui ne varie pas dans l’espace et dans le temps et que l’on peut considérer soit comme une nouvelle constante de la théorie de la gravitation, soit comme une manifestation des fluctuations du vide quantique de tous les champs (de matière, électromagnétique, etc.).
Si -1 < w < -1/3, alors l’énergie noire peut être un champ scalaire dit de quintessence, cousin de celui du Boson de Brout-Englert-Higgs et variable dans le temps.
Si, en gros, -2< w < -1, alors l’énergie noire est produite par un autre type de champ scalaire et on est dans le scénario du « grand déchirement » (Big Rip, en anglais). Dans ce scénario, toutes les structures, des amas de galaxies jusqu’aux noyaux des atomes, seront déchiquetées par une expansion de l’espace de plus en plus forte causée par une physique exotique, celle de l’énergie fantôme dont la densité augmente avec l’expansion.
Cet enregistrement de la réunion d’avril 2024 de l’APS présente la session F01, « Résultats de la première année de l’instrument spectroscopique à énergie sombre (DESI) ». Au cours de cette session, nous avons approfondi trois conférences révolutionnaires qui dévoilent les découvertes de pointe de l’année inaugurale du Desi. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © American Physical Society