Dans l’interview que l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring, l’un des spécialistes de l’exploration du Système solaire, avait accordée à Futura au sujet de son dernier ouvrage, le chercheur soutenait une thèse très proche de celle de l’hypothèse de la Terre rare que l’on doit à ses collègues, le géologuegéologue et paléontologuepaléontologue Peter Ward et l’astronomeastronome et exobiologiste Donald E. Brownlee. En gros, selon cette thèse et comme nous l’expliquions dans l’interview, la probabilité de l’apparition d’une planète comme la Terre, capable d’héberger et de faire évoluer la vie, apparaît comme un produit de probabilités d’événements contingents si faibles, selon une séquence en plus singulière, que l’on est conduit à penser que la vie telle qu’on peut désormais la caractériser est terrestre par essence.
Cette thèse ne fait pas l’unanimité, mais tout le monde est sans doute d’accord pour dire que l’on pourrait trancher dans un avenir pas trop lointain, peut-être au cours de ce siècle, soit en découvrant des formes de vie ailleurs dans le Système solaire, ou, ce qui serait encore plus spectaculaire, des technosignatures d’E.T. !
En attendant, nous pouvons déjà chercher à détecter des planètes rocheusesplanètes rocheuses dans la zone d’habitabilité qui soient suffisamment proches du Système solaire pour que l’on puisse avoir des renseignements sur la composition de leurs atmosphèresatmosphères, quand elles en ont. C’est ce que l’on tente de faire en ce moment avec les observations du télescope spatial James-Webb (JWST).
L’astrophysicien René Doyon nous parle du télescope spatial James-Webb qui révèle des informations inédites sur l’Univers et ses exoplanètes. © Radio-Canada Info
Une superterre habitable ?
La preuve en est l’annonce faite aujourd’hui par une équipe internationale d’astrophysiciensastrophysiciens dirigée par des chercheurs de l’université de Montréal (UdeM), dont l’astrophysicien René Doyon et qui compte parmi ses membres le Français Thomas Fauchez en poste au Goddard Space Flight Center (GSFC) dont les recherches portent sur la modélisation des atmosphères exoplanétaires.
Comme on peut le constater, elle concerne une publication dans le célèbre Astrophysical Letters Journal, publication dont une version en accès libre se trouve sur arXiv, et parle des derniers résultats concernant l’étude d’une exoplanèteexoplanète elle aussi célèbre depuis quelques années : LHS 1140 b.
On ne savait pas vraiment encore si l’on était en présence d’une mini-NeptuneNeptune ou d’une super-Terresuper-Terre dans la zone d’habitabilité autour d’une étoileétoile de type naine rougenaine rouge d’environ un cinquième de la taille du SoleilSoleil et situé à environ 48 années-lumièreannées-lumière du Système solaire dans la constellation de la Baleineconstellation de la Baleine. Mais des données collectées par le JWST en décembre 2023 et ajoutées aux données précédentes d’autres télescopes spatiaux, notamment Spitzer, Hubble et TessTess permettent maintenant d’affirmer au moins qu’il ne s’agit pas d’une mini-Neptune et que l’exoplanète a 1,7 fois la taille de la Terre et 5,6 fois sa massemasse.
Pour le reste, Thomas Fauchez déclare dans le communiqué du GSFC : « Si cela est confirmé par des observations de suivi, ce serait la première fois qu’une atmosphère serait trouvée sur une planète rocheuse dans la zone habitable en dehors du Système solaire où seules deux planètes entrent aujourd’hui dans cette catégorie, la Terre et Mars, ce qui amènerait le total de planètes rocheuses de zone habitable avec une atmosphère que nous connaissons dans l’UniversUnivers à… trois ! ».
Thomas Fauchez est Docteur en physique au Goddard Space Flight Center (Nasa), situé à Washington. Il s’intéresse en particulier à mieux comprendre l’atmosphère des exoplanètes rocheuses, et tente de déterminer, de détecter des biosignatures avec les observatoires spatiaux. © Association Odyssée Céleste
Une superterre boule de neige ?
La découverte est d’autant plus fascinante que les données spectrales obtenues avec le JWST, lors d’un transittransit spectroscopique effectué par LHS 1140 b, suggèrent que son atmosphère contient de l’azoteazote, comme dans le cas de notre Planète bleue !
Certes, les données obtenues montrent aussi que LHS 1140 b doit être en rotation synchronesynchrone autour de son étoile hôte, lui présentant toujours la même face, et qu’elle est suffisamment légère pour être, peut-être, une planète océanplanète océan (10 à 20 % de sa masse pourrait être composée d’eau), mais dans un état comparable à celui postulé pour la Terre il y a longtemps dans l’hypothèse dite de la « Terre boule de neige ». Un modèle de son climatclimat autorise toutefois à penser qu’une banquisebanquise globale, comme c’est le cas d’Europe, la lunelune glacée de JupiterJupiter, n’est pas présente dans le sens où une partie de la face diurnediurne de la super-Terre pourrait être un océan libre de glace.
Le communiqué de l’UdeM qui accompagne également la publication dans Astrophysical Letters Journal précise à ce sujet que la part libre pourrait avoir 4 000 kilomètres de diamètre, soit l’équivalent de la moitié de la superficie de l’océan Atlantique, et une température de surface au centre de 20 degrés Celsiusdegrés Celsius.
« De toutes les exoplanètes tempérées connues actuellement, LHS 1140 b pourrait bien être notre meilleur pari pour un jour confirmer indirectement la présence d’eau liquideliquide à la surface d’un monde extraterrestre. Ce serait une étape majeure dans la recherche d’exoplanètes potentiellement habitables », affirme aussi dans le communiqué Charles Cadieux, auteur principal de l’article scientifique et doctorant sous la supervision de René Doyon à l’Institut de recherche Trottier sur les exoplanètes (iREx) et l’UdeM.
Une atmosphère planétaire possède une signature spectrale qui représente sa composition chimique, mais également sa composition en nuages et « brouillard ». Grâce à plusieurs techniques, il est possible de déterminer les caractéristiques physico-chimiques de l’atmosphère d’une exoplanète. Parmi ces techniques : le transit spectroscopique, le transit secondaire ou éclipse, l’observation spectroscopique directe de la planète ou encore l’observation de la planète à différentes phases autour de l’étoile afin de mesurer des variations temporelles et saisonnières. Partez à la découverte des exoplanètes à travers notre websérie en 9 épisodes à retrouver sur notre chaîne YouTube. Une playlist proposée par le CEA et l’université Paris-Saclay dans le cadre du projet de recherche européen H2020 Exoplanets-A. © CEA
De l’eau liquide grâce à l’effet de serre du CO2 ?
Les données du James-Webb concernant l’atmosphère de LHS 1140 b ont été obtenues avec l’instrument de conception canadienne NiRissNiRiss (Near-Infrared Imager and Slitless Spectrograph)) observant dans l’infrarougeinfrarouge proche. Mais pour les interpréter, Thomas Fauchez a simulé des spectresspectres concernant diverses atmosphères possibles en cherchant celui qui correspondait le mieux aux mesures à l’aide du Planetary Spectrum Generator, un code mis au point au Goddard Space Flight CenterGoddard Space Flight Center par Geronimo Villanueva en collaboration avec Thomas Fauchez, Sara Faggi et Vincent Kofman.
Les indices de la présence d’une atmosphère contenant de l’azote proviennent notamment de la mise en évidence d’un effet de diffusiondiffusion spectrale des moléculesmolécules de N2 similaire à ce que l’on observe sur Terre via ce que l’on appelle la diffusion Rayleigh, qui permet de rendre compte de la couleurcouleur bleue du ciel. On peut trouver des explications au sujet de ce phénomène dans le fameux cours de Physique de Richard Feynman.
Toujours dans le communiqué de l’UdeM, René Doyon, qui est également le responsable scientifique de NiRiss explique que « la détection d’une atmosphère semblable à celle de la Terre sur une planète tempérée demande de pousser les capacités de Webb à leur maximum. C’est faisable ; nous avons juste besoin de beaucoup de temps d’observation. L’hypothèse d’une atmosphère riche en azote demande confirmation avec plus de données. Nous avons besoin d’au moins une année supplémentaire d’observations pour confirmer que LHS 1140 b a une atmosphère, et probablement deux ou trois autres pour détecter du dioxyde de carbonedioxyde de carbone ».
La mise en évidence de la présence de CO2 et l’évaluation de son abondance dans l’atmosphère de LHS 1140 b peut permettre de trancher entre les scénarios où LHS 1140 b est dans une phase de type « Terre boule de neige » ou avec un océan libre faisant face au soleil de l’exoplanète. Que cela puisse prendre plusieurs années s’explique par le fait que le JWST ne peut observer que huit transits par an.
L’étude des exoplanètes a révélé une incroyable diversité des architectures de systèmes planétaires, mais aussi des types de planètes, en ce qui concerne les masse, rayon, température et composition. Les méthodes d’observation permettent désormais de sonder la structure et la composition de leur atmosphère, ouvrant ainsi un champ de recherche considérable à la planétologie comparée. Voici, en 2016, une conférence de Franck Selsis organisée par le Bureau des longitudes (Académie des Sciences) et le département de géosciences de l’ENS. © École normale supérieure – PSL