Les découvertes sur les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs au cœur des grandes galaxies sont régulièrement sur le devant de la scène, qu’ils s’agissent de progrès théoriques, observationnels ou dans des simulations sur ordinateursordinateurs qui les concernent. On ne sait toujours pas vraiment comment ils naissent et des incertitudes existent sur la façon dont ils croissent.
On a tout de même bien progressé depuis 1964, lorsque les grands astrophysiciensastrophysiciens russes Yakov Zel’dovich et Igor Novikov – indépendamment et au même moment que leur collègue Edwin Salpeter aux États-Unis (le directeur de thèse d’Hubert Reeves)) – avaient proposé que les quasars, et plus généralement les noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies, soient des trous noirs supermassifs accrétant de la matière ; en 1971, Donald Lynden-Bell et Martin Rees en proposaient même un au cœur de la Voie lactée.
En ce qui concerne les quasi-stellar radio sources – les quasars selon la dénomination proposée, toujours en 1964 par l’astrophysicien d’origine chinoise Hong-Yee Chiu : rappelons que c’est au début des années 1960 que Maarten Schmidt, un astronomeastronome néerlandais a fait l’analyse spectrale d’un astre, la contrepartie dans le visible d’une source radio puissante, nommée 3C 273. Elle se présentait comme une étoileétoile, mais les mesures de Schmidt montraient qu’elle se trouvait à plus de 2,4 milliards d’années-lumièreannées-lumière de la Voie lactée, ce qui veut dire que pour être observable à une telle distance, elle devait être d’une luminositéluminosité absolument prodigieuse, dépassant les cinq millions de millions de fois celle du SoleilSoleil ou, présentée d’une autre façon, était équivalente à celle de 1 000 fois les centaines de milliards d’étoiles de notre Voie lactée !
Roger Blandford nous parle des trous noirs supermassifs et de leurs jets dans cette vidéo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Quanta Magazine
Du trou noir de Kerr au mécanisme de Blandford-Znajek
La même année, le mathématicienmathématicien néo-zélandais Roy Kerr fait la découverte d’une solution particulière des équationséquations de la relativité généralerelativité générale d’EinsteinEinstein, qui ouvre la voie à une explication détaillée du mécanisme de production de l’énergieénergie lumineuse des quasars. Au cours de la décennie qui va suivre, notamment grâce aux travaux de Roger Penrose et Brandon Carter, on va comprendre que la solution de Kerr décrit tous les trous noirs en rotation.
Comme l’accrétionaccrétion de matière sur un astre très compact doit libérer une quantité plus importante d’énergie pour une quantité de matière donnée, notamment de l’hydrogènehydrogène par des réactions de fusionfusion thermonucléaire, on pouvait penser qu’un trou noir de Kerrtrou noir de Kerr supermassif accrétant de la matière pouvait, d’une façon ou d’une autre, produire l’extraordinaire quantité d’énergie expliquant la luminosité des quasars. Des modèles de disques d’accrétiondisques d’accrétion entourant des trous noirs vont donc être construits, notamment par Kip Thorne et Igor Novikov en 1973 et également à la même époque par Nikolai Shakura et Rashid Sunyaev.
En 1977, deux jeunes astrophysiciens relativistes alors à l’université de Cambridge, Roger Blandford et Roman Znajek, vont faire un bond de géant sur la problématique de la luminosité des quasars. Roger Penrose avait déjà montré à la fin des années 1960 qu’il était possible d’extraire de l’énergie en ralentissant la rotation d’un trou noir, et donc en puisant dans son énergie cinétique de rotation. Les deux chercheurs vont construire un scénario plus élaboré que celui de Penrose, mais basé sur la même idée, et qui sera ensuite connu comme le processus dit de Blandford-Znajek. Il va s’imposer pour expliquer non seulement la luminosité des quasars, mais aussi l’existence de jets de matière souvent associés et que l’on peut détecter par exemple lorsqu’ils produisent deux sources radio aux extrémités de ces jets, quand ils entrent en collision avec le milieu intergalactique.
Voyons de quoi il en retourne plus en détail. Lorsque de la matière forme un disque d’accrétion, elle tombe en spirale vers le corps attracteur, tournant d’autant plus vite qu’elle s’en approche. Elle est initialement sous forme d’un gazgaz. Or ce gaz est visqueux, ce qui veut dire qu’en raison des différences de vitessevitesse entre deux anneaux concentriques de matière dans le disque, il va y avoir des forces de frottement qui vont chauffer le gaz.
Le disque de matière autour d’un trou noir va donc s’ioniser, des courants électriquescourants électriques et des champs magnétiqueschamps magnétiques vont naître dans le plasma formé. Il existe toute une théorie de ces phénomènes en espace-tempsespace-temps courbe. Blandford et Znajek l’ont utilisée pour décrire ce qui se passait en raison des propriétés de la métrique de l’espace-temps de Kerr, comme disent les spécialistes dans leur jargon.
Autour de l’horizon sphérique du trou noir existe alors une zone en forme d’ellipsoïde de rotation, appelée l’ergosphère. Un corps en chute libre radialement sera contraint d’avoir une composante de rotation supplémentaire en pénétrant dans cette région. C’est aussi vrai pour les lignes de champs magnétiques générées par le disque, de sorte que tout se passe au final comme si l’on avait un aimantaimant en rotation et l’équivalent d’une dynamodynamo produisant des différences de potentiel.
Deux conséquences essentielles en découlent. Tout d’abord ces différences vont accélérer des particules chargées presque à la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière et enfin, la rotation du trou noir va tordre les lignes de champs magnétiques et certaines vont former une sorte de tube torsadé suivant l’axe de rotation du trou noir et le long duquel les particules chargées vont s’élever.
Une équipe d’astrophysiciens dirigée par Phil Hopkins du Caltech a réussi pour la première fois à simuler le voyage du gaz primordial datant du début de l’Univers jusqu’au stade où il est entraîné dans un disque de matière alimentant un trou noir supermassif. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Caltech
Des courants froids des galaxies aux disques d’accrétion des quasars
Mais, comme on l’a dit, ces succès théoriques sont aussi des échecs car, comme Futura l’a expliqué notamment dans un article récent, les processus d’accrétion de matière par les trous noirs supermassifs sont tout de même toujours mal compris. Les observations du télescopetélescope James-Webb nous ont montré que les trous noirs supermassifs contenaient déjà une quantité de massemasse importante et on n’arrive pas vraiment à expliquer comment ils pourraient avoir avalé autant de matière si vite après le Big BangBig Bang.
Une des clés de l’énigme est peut-être en train d’être trouvée sous nos yeuxyeux. C’est du moins ce que l’on peut penser en consultant un article qui vient d’être publié dans la revue The Open Journal of Astrophysics et que l’on peut trouver en accès libre sur arXiv.
Une équipe d’astrophysiciens dirigée par des membres du célèbre Caltech en Californie y annonce avoir réussi, pour la première fois, à simuler en détail le processus allant du gaz primordial datant du Big Bang en train de former des galaxies jusqu’à son destin final, lorsqu’il alimente les disques d’accrétion qui se forment autour du trou noir supermassif. Selon les propres termes d’un communiqué du Caltech, la nouvelle simulation informatiquesimulation informatique bouleverse les idées que les astronomes avaient sur ces disques depuis les années 1970, et ouvre la voie à de nouvelles découvertes sur la façon dont les trous noirs et les galaxies se développent et évoluent.
Pour l’obtenir, les chercheurs ont trouvé le moyen d’articuler deux simulations précédentes décrivant des échelles astrophysiquesastrophysiques différentes en taille et en temps, et initialement développées depuis des années par des équipes différentes. La première équipe s’occupait de Fire (Feedback in Realistic Environments), portant sur les plus grandes échelles en étudiant la façon dont les galaxies se forment et ce qui se passe lorsque les galaxies entrent en collision. La seconde équipe travaillait, elle, sur Starforge, qui modélisait des échelles beaucoup plus petites, notamment la façon dont les étoiles se forment dans des nuagesnuages de gaz individuels.
Dans les deux cas, il s’agissait de simulations gourmandes en calcul et il n’était pas possible de simuler avec autant de précision tout ce qui peut se passer dans toutes les galaxies à petite échelle, comme le souffle de l’explosion des supernovaesupernovae ou les jets des trous noirs supermassifs et leur effet sur la formation des étoiles.
En fait, c’est une stratégie que l’on emploie aussi sur Terre pour la météorologiemétéorologie. On commence par faire une modélisationmodélisation de l’atmosphèreatmosphère et de l’océan dans les grandes lignes avec des maillages de grandes échelles – disons de la taille moyenne d’un petit pays – qui va donner un comportement global et alimenter des calculs avec des maillages beaucoup plus petits – par exemple à l’échelle d’une ville – pour arriver à prédire les nuages et les précipitationsprécipitations locales.
Dans le cas présent, on passe ainsi des courants froids alimentant les galaxies à ce qui se passe dans le plasma du disque d’accrétion des trous noirs supermassifs derrière les quasars.
Cette simulation présente un vol dans un enchevêtrement de galaxies en fusion, pour finalement zoomer sur un trou noir supermassif actif, ou quasar, entouré d’un disque tourbillonnant de matière appelé disque d’accrétion. Un flux filamentaire de gaz a été enroulé dans le disque, canalisant le gaz à un débit suffisant pour alimenter les quasars les plus brillants connus de l’Univers. Vers la fin de la simulation, les champs magnétiques arrachent du moment cinétique du disque en rotation, ce qui permet au gaz de s’enfoncer de plus en plus loin jusqu’à ce qu’il traverse l’horizon des événements du trou noir, d’où il ne peut pas s’échapper. Dans cette simulation, qui représente un instant dans le temps, on zoome d’un facteur d’un milliard. Les couleurs montrent la densité du gaz, les couleurs plus vives représentant des densités plus élevées. © Caltech, Phil Hopkins Group
Des champs magnétiques qui rivalisent avec la gravitation
Comme on l’a dit plus haut, les astrophysiciens ont été surpris par les résultats de la nouvelle simulation plus réaliste de ce qui se passe avec les quasars et qui décrit ce qui se passe avec un trou noir d’environ 10 millions de fois la masse de notre Soleil, quelques centaines de millions d’années après le Big Bang. Phil Hopkins, Ira S. Bowen Professor of Theoretical Astrophysics au Caltech et qui a mené les chercheurs, explique toujours dans le même communiqué que « dans notre simulation, nous voyons un disque d’accrétion se former autour du trou noir. Nous aurions été très excités si nous avions simplement vu ce disque d’accrétion, mais ce qui était très surprenant, c’est que le disque simulé ne ressemble pas à ce que nous pensions depuis des décennies ».
Le communiqué se poursuit en expliquant que « dans deux articles fondateurs des années 1970 décrivant les disques d’accrétion alimentant les trous noirs supermassifs, les scientifiques supposaient que la pressionpression thermique (le changement de pression provoqué par le changement de température du gaz dans les disques) jouait le rôle dominant pour empêcher ces disques de s’effondrer sous l’effet de l’énorme gravitégravité qu’ils subissent à proximité du trou noir. Ils savaient que les champs magnétiques pourraient jouer un rôle mineur dans la consolidation des disques. En revanche, la nouvelle simulation a révélé que la pression exercée par les champs magnétiques de ces disques était en réalité 10 000 fois supérieure à la pression exercée par la chaleurchaleur du gaz ».
C’est ce qui fait déclarer à Hopkins que « les disques sont presque entièrement contrôlés par les champs magnétiques. Nos théories nous disaient que les disques devraient être plats comme des crêpes. Mais nous savions que ce n’était pas vrai, car les observations astronomiques révèlent que les disques sont en réalité “pelucheux” ».
Le communiqué se termine en concluant :
« Cette prise de conscience modifie une multitude de prédictions que les scientifiques peuvent faire sur ces disques d’accrétion, comme leur masse, leur densité et leur épaisseur, la vitesse à laquelle la matière devrait pouvoir se déplacer d’eux vers un trou noir, et même leur géométrie (telle que les disques peuvent être déséquilibrés).
Pour l’avenir, Hopkins espère que cette nouvelle capacité à combler le fossé des échelles de simulation cosmologique ouvrira de nombreuses nouvelles voies de recherche. Par exemple, que se passe-t-il en détail lorsque deux galaxies fusionnent ? Quels types d’étoiles se forment dans les régions denses des galaxies où les conditions sont différentes de celles du voisinage de notre Soleil ? À quoi aurait pu ressembler la première génération d’étoiles de l’UniversUnivers ? »