S’il occasionne parfois des dégâts sur des troupeaux (voir l’épisode 2)), le loup est avant tout un grand prédateur dont les rôles écosystémiques ne sont plus à démontrer (voir l’épisode 3). Malgré cela, dans l’imaginaire collectif, il reste le prédateur sanguinaire par excellence. Et vous, que ressentez-vous vis-à-vis du loup ?
Tout commence par une émotion
Une enquête sociale publiée dans la revue People and Nature s’est intéressée aux états émotionnels exprimés en réaction à différentes situations impliquant des loups par des habitants des campagnes françaises, pour faire suite aux précédents travaux portant sur des dispositions émotionnelles, liées quant à elles à des situations décontextualisées. Les participants à l’étude pouvaient exprimer leurs émotions parmi les suivantes : l’intérêt, la peur, la joie, la colère, la surprise, la tristesse, le dégoût, à diverses intensités. À votre avis, quelle émotion a été la plus souvent ressentie ? Surprenant : la surprise ! Suivie de l’intérêt et ensuite de la peur.
Qu’est-ce que cela traduit ? D’une part, que l’on ne s’attend pas à rencontrer des loups, alors même que ces derniers sont dans une dynamique de recolonisation des campagnes françaises depuis plus de trente ans. D’autre part, ces réponses témoignent que des émotions comme la colère, ne semblent pas associées au loup en soi, mais plus à certains contextes d’interaction associés à un sentiment d’injustice, reflet des conflits humains liés à la gestion des loups. Enfin, cette étude démontre l’étroitesse du lien qui unit nos émotions et nos attitudes : la joie et la colère semblent influencer le plus fortement le jugement de valeur qui découle de l’observation d’un loup sur le territoire français. Où est la peur dans tout cela ?
Les attaques envers l’humain, un phénomène rarissime
Si la rencontre avec un loup suscite en premier lieu la surprise, ce n’est pas un hasard : ce sont des animaux discrets et craintifs évoluant sur de vastes territoires. Si croiser leur chemin est donc très rare, être victime d’une attaque l’est encore plus !
D’après une étude menée en Europe et en Amérique du Nord entre 2002 et 2020, seulement 12 preuves d’attaques ont été recensées, dont deux furent mortelles. Les auteurs, considérant qu’il y a près de 60 000 loups en Amérique du Nord et 15 000 en Europe, et qu’ils partagent leur territoire avec des centaines de millions de personnes, ne nient pas l’existence d’un risque, mais le considèrent beaucoup trop faible pour être ne serait-ce qu’estimé. Si le loup a effectivement attaqué des humains, dans la majorité des cas, ce comportement était dû à un animal enragé. Le loup ne considère pas les humains comme des proies. Pour autant, peut-on dire qu’il s’est habitué à leur présence sur son territoire sauvage ?
Le saviez-vous ?
En cas de morsure par un loup, la victime risque-t-elle une contamination par la rage ? Si l’on considère que la distribution des loups enragés suit de près celle des cas de rage chez les humains, cela représente un très faible risque pour l’Europe, en raison de l’éradication presque totale de la rage (en France, aucun cas n’a été recensé depuis 2001).
Le loup s’est-il habitué aux humains ?
La réponse est claire : non. Le loup se caractérise par d’importantes capacités d’adaptation à son environnement, y compris ceux marqués par la présence humaine et sa recolonisation naturelle s’étend vers des plaines habitées (voir l’épisode 2) : un phénomène qui prête à penser que la proximité avec les humains entraînerait de nouveaux comportements.
Cependant, une étude menée par l’Office français de la biodiversité (OFB) sur 30 ans démontre l’absence d’habituation du prédateur. Les scientifiques ont analysé près de 4 000 observations, complétées d’informations relatives au contexte de l’observation, à l’attitude des loups observés face aux humains et à l’attitude de l’observateur. Résultat : dans 80 % des rencontres, le loup a fui. Seules 10 rencontres font état de réactions perçues comme agressives – liées en grande partie à un mécanisme de défense de la part du loup, suite à une provocation de l’observateur ou un effet de surprise.
L’idée selon laquelle il aurait émergé des loups « audacieux » au fil des années est donc fausse. Les loups qui fréquentent les communautés humaines ne sont ni plus curieux, ni plus entreprenants, ni plus agressifs. Mais alors, comment expliquer que cette idée reçue, portée par des opposants au loup, soit si largement diffusée dans les médias ?
Les médias ont une responsabilité dans la construction de l’image du loup, car ils jouent un rôle fondamental dans la constructionconstruction des récits autour de la coexistence humains-faune sauvage.
Si les enfants grandissent avec l’imaginaire d’un « grand méchant loup », celui-ci continue d’être alimenté à l’âge adulte à coups de symboles menaçants, de chiffres sortis de leur contexte ou encore des fake newsfake news diffusées sans aval scientifique sur InternetInternet. En 2018, par exemple, l’association de défense des grands prédateurs Ferus dénonçait une campagne de lutte contre le harcèlement sexuel dans les transports publics d’Ile-de-France, mettant en scène un loup : nous « ne sommes plus à l’époque où il était de bon ton de cacher le bipède assassin, violeur ou harceleur derrière le masque du loup », peut-on lire dans un communiqué.
Tous responsables de la situation
À ce stade, vous vous demandez peut-être quel est le lien entre les émotions suscitées par un prédateur à l’échelle individuelle et l’évolution de son statut de protection au niveau législatif. Il n’est plus à démontrer que la connaissance est un vecteur d’éveil et de mobilisation, permettant d’agir avec conscience et discernement. Mais qu’en est-il de nos sens ? Nous avons vu que les émotions sont des moteurs de compréhension des attitudes et, par conséquent, des processus de décisions qui en découlent, régissant notamment la conservation des grands carnivores.
Au regard de cette enquête, le loup est indéniablement devenu un animal politique. Mais n’oublions pas toute la poésie que le monde sauvage a également à nous raconter, en renouant avec nos sens. Dans cette démarche, je ne peux que vous conseiller les productions du photographe et réalisateur Jean-Michel Bertrand, dont le dernier film Vivre avec les loups est paru cette année. Il résume avec sagesse la situation : « Les loups sont là : on ne peut pas être pour ou contre, on doit tenter de faire un pont entre nos mondes. ». Nous avons longtemps été divisés : il est temps de cohabiter avant qu’il ne soit trop tard.
Retrouvez tous les épisodes de l’enquête :