Les analyses des mesures du rayonnement fossile, la plus vieille lumière de l’Univers observable, réalisées avec le satellite Planck, a permis de conclure que celui-ci était âgé d’environ 13,8 milliards d’années. Ces analyses ont aussi montré l’existence d’infimes fluctuations de températures dans ce rayonnement sur la voûte céleste, reflets de fluctuations de densité de matière. En première approximation, ces fluctuations de densité indiquaient un conflit entre la gravité cherchant à faire s’effondrer les zones les plus denses et la pressionpression du rayonnement si opposant, comme dans le cas du SoleilSoleil.
Toutefois, si l’on calcule en fonction des fluctuations de densité mesurées, le temps mis pour former avec elles les galaxiesgalaxies, nous ne devrions pas en voir aujourd’hui. Par contre, si l’on suppose l’existence d’une nouvelle forme de matière insensible, ou presque, au rayonnement, une matière noirematière noire donc car elle ne peut alors ni absorber ni émettre de la lumière, il est possible d’avoir des fluctuations de matière noire plus importantes que celles de la matière ordinaire et qui va s’effondrer bien plus rapidement en entraînant celle-ci avec elle.
La matière noire doit laisser tout de même une trace bien particulière dans le rayonnement fossile que l’on observe justement et qu’il est très difficile, peut-être impossible, d’expliquer vraiment sans matière noire en faisant intervenir notamment des modifications des lois de la mécanique céleste de Newton.
Il existe d’autres raisons de postuler l’existence des particules de matière noire et de nombreuses théories à son sujet ont été avancées, comme celle de la matière noire « floue » ou avec des particules millichargées.
Malheureusement, il n’existe encore aucune détection en laboratoire de ces particules ni de preuves totalement convaincantes indirectement, et pas plus de déterminations précises de leurs propriétés à part des contraintes. Un article récemment publié dans Physical Review Letters, et dont une version en accès libre existe sur arXiv, vient cependant d’apporter une nouvelle pièce au débat en suggérant qu’une classe bien particulière de matière noire pointerait le bout de son nom via l’existence des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs. Surtout, cette classe de particules exotiquesexotiques donnerait la clé d’une énigme connue avec eux sous le nom de « problème du parsecparsec final ».
De quoi s’agit-il ? Pour le savoir, reprenons les explications déjà données par Futura dans un précédent article au sujet de ce problème.
Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au CNRS et Françoise Combes, professeur au Collège de France, nous parlent des trous noirs. © Fondation Hugot du Collège de France
Le « problème du parsec final »
Les trous noirs supermassifs contenant un million à plusieurs milliards de massesmasses solaires renferment encore bien des mystères. En fait, nous sommes raisonnablement sûrs qu’il s’agit de trous noirs, mais le dernier mot à ce sujet n’est pas encore dit. L’étude des ondes gravitationnelles avec la mission Lisa dans l’espace pourrait nous apprendre qu’il s’agit de boules de supercordes ou au contraire vérifier que l’on est bien en présence de vrais trous noirs – peut-être pas décrits complètement par la théorie relativiste de la gravitation d’EinsteinEinstein, mais par une autre théorie relativiste comme celle de la relativité intriquée. La théorie de la relativité généralerelativité générale et des variantes nous disent que deux trous noirs en orbiteorbite rapprochée vont émettre des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles tout en spiralant l’un vers l’autre de plus en plus vite du fait de pertes d’énergieénergie – énergie emportée au loin précisément par ces ondes et d’une façon qui dépend de la théorie de la gravitation relativiste et des trous noirs considérés.
L’une des grandes énigmes de ces trous noirs supposés est celle de leur origine et plusieurs scénarios ont été proposés. Parmi les processus qui peuvent les faire grandir à partir de trous noirs plus légers, on trouve le paradigme des courants froids alimentant la croissance des galaxies et des trous noirs géants qu’elles contiennent en matière et celui de fusionfusion de deux galaxies contenant déjà des trous noirs.
Naïvement, rien ne forcerait les deux trous noirs à se rapprocher pour finir par entrer en collision, pas plus que les étoilesétoiles du gazgaz des deux galaxies en cours de fusion. Mais le prix Nobel de physiquephysique Subrahmanyan ChandrasekharSubrahmanyan Chandrasekhar a montré en 1943 qu’il existait un phénomène connu sous le nom de frictionfriction dynamique, ou encore de friction de Chandrasekhar, qu’il a théorisé mathématiquement avec le génial von Neumann.
Appliqué à un trou noir géant, il est la manifestation des échanges d’énergie et de quantité de mouvementsquantité de mouvements sous l’effet du champ de gravitation des étoiles et des nuagesnuages de gaz dans une galaxie, dans laquelle se déplacerait un tel trou noir. Il existe alors l’équivalent d’une force de frottement qui va freiner le trou noir et tendre à le faire « sédimenter » vers le cœur de la galaxie.
Bien évidemment, ce phénomène va se produire pour les trous noirs supermassifs de deux galaxies qui viennent de fusionner. Toutefois, on finit par buter sur un problème – dont on ne sait pas encore très bien quelle est la solution – et qui est appelé le « problème du parsec final ».
En gros, alors qu’ils sédimentent l’un vers l’autre, en réaction au freinage, la matière environnante proche des deux monstres cosmiques va être chassée et la force de freinage va cesser, de sorte que les deux astresastres compacts ne vont pas pouvoir s’approcher du tout en étant en orbite l’un autour de l’autre. L’émissionémission d’ondes gravitationnelles par ce système de deux objets – séparés par quelques années-lumièreannées-lumière au moins – sera très faible et ne va que très lentement les rapprocher, de sorte qu’on ne peut pas prédire de cette manière que les plus gros trous noirs supermassifs que l’on observe sont le produit depuis une dizaine de milliards d’années environ de fusions de trous noirs géants plus petits. Il faudrait que les deux trous noirs soient déjà au moins à 0,01 parsec de distance pour que la perte d’énergie par ondes gravitationnelles soit significative et conduise rapidement à une collision. En pratique, c’est donc comme si le processus de collision était stoppé à une distance mutuelle d’environ 1 parsec, soit environ 3 années-lumière.
Voilà, c’est ça le « problème du parsec final ».
Becky Smethurst, astrophysicienne à l’université d’Oxford (Christ Church) expose en détail le problème du parsec final. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Becky Smethurst
Une « self-interacting dark matter » ?
« Nous montrons que l’inclusion de l’effet jusqu’alors négligé de la matière noire peut aider les trous noirs supermassifs à surmonter ce parsec final de séparationséparation et de fusion. Nos calculs expliquent comment cela peut se produire, contrairement à ce que l’on pensait auparavant », vient d’expliquer, dans un communiqué de l’université de Toronto au Canada, Gonzalo Alonso-Álvarez, chercheur postdoctoral au Département de physique de cette université et principal auteur de l’article exposant cette découverte avec ses collègues James ClineCline de l’université McGill et du département de physique théorique du CernCern en Suisse et Caitlyn Dewar, étudiante à la maîtrise ès sciences en physique à McGill.
Pour ces chercheurs, la clé de l’énigme consiste à prendre comme classe de modèles particulière de matière noire ce que l’on appelle en anglais la self-interacting dark matter (SIDM) qui a été proposée pour résoudre le « problème de concentration du halo ».
Lorsque l’on a fait les premières simulations de formation des galaxies et des structures galactiques les rassemblant avec les théories des particules de matière noire les plus plausibles, ces simulations sur ordinateursordinateurs prédisaient un important pic de concentration de matière noire au centre des halos de cette matière entourant les galaxies. Mais les observations ne soutiennent pas une concentration particulière de matière noire au cœur des galaxies.
On peut résoudre ce problème en postulant qu’outre la possibilité d’interagir avec d’autres particules par la force de gravitationforce de gravitation, la matière noire pourrait aussi interagir avec elle-même grâce à l’existence d’une nouvelle force entre ces particules de matière noire, d’où l’expression « self-interacting » en anglais.
Magiquement, lorsque l’on se met, comme les chercheurs l’ont fait, à reconsidérer la sédimentationsédimentation des trous noirs supermassifs vers le cœur de la galaxie nouvellement formée par collision, les particules de SIDM sont moins éjectées du cœur par ce processus de sédimentation et leur champ de gravitation va donc produire un effet de freinage plus important qui conduit précisément à surmonter la barrière du parsec final.
Remarquablement, c’est une théorie testable.
Cette simulation numérique rapproche les astrophysiciens de la compréhension des types de signaux lumineux produits lorsque deux trous noirs supermassifs entourés de matière, qui sont des millions à des milliards de fois la masse du Soleil, spiralent vers une collision. Cette simulation intègre pleinement les effets physiques de la théorie de la relativité générale d’Einstein et elle montre que le gaz dans de tels systèmes brillera principalement dans la lumière ultraviolette et les rayons X. Dans le cas présent, les trous noirs sont supposés être suffisamment proches pour que le problème du parsec final ne se pose pas. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard
Un signal d’ondes gravitationnelles détectable ?
En effet, on sait que les fusions de trous noirs supermassifs tout au long de l’histoire du cosmoscosmos observable doivent produire une sorte de bruit de fond stochastiquestochastique du fait de la superposition aléatoire de chaque source.
On commence peut-être à détecter ce bruit de fond depuis quelque temps dans le cadre de la collaboration de l’International Pulsar Timing Array (IPTA), comme Futura l’avait expliqué dans un précédent article. Il possède un spectrespectre bien particulier qui dépend des théories qu’il fait intervenir.
« Une prédiction de notre proposition est que le spectre des ondes gravitationnelles observées par l’IPTA devrait être adouci aux basses fréquencesfréquences. Les données actuelles font déjà allusion à ce comportement, et de nouvelles données pourraient le confirmer dans les prochaines années », explique James Cline.
« Notre travail ouvre une nouvelle voie pour appréhender la nature des particules de matière noire. Nous avons découvert que l’évolution des orbites des trous noirs est très sensible à la microphysique de la matière noire, ce qui signifie que nous pouvons utiliser les observations de fusions de trous noirs supermassifs pour mieux comprendre ces particules. Notre argument est que seuls les modèles contenant cet ingrédient peuvent résoudre le problème du parsec final », conclut Alonso-Álvarez dans le communiqué de l’université de Toronto.